Je fus d’abord embarquée dans un mystérieux
voyage, cheminant aux côtés de sombres rencontres (Ill. 1 et
2). Je ne sais qui elles furent. Je ne sais si l’une fut dantesque.
Femme d’amour portant en ses mains l’espoir d’une vie renouvelée ?
Femme beauté révélée à la croisée
d’obscures forêts ? Je ne sais si l’autre - revenant
(e)- fut apparition onirique arrachée d’un lieu d’où l’on
ne revient pas ni si elle fut née en réponse amoureuse à quelques
apparitions rembranesques. Je n’ai su que la puissance du Noir, profond,
fermant sur moi ses bras de Néant. Tantôt son corps épais
s’animait, vibrait de rouges infernaux et d’éclats émeraudes
en une poignante mélodie qui finissait par se taire dans une sombre
cavité. Là, regarde, dans ce cri aphone, gravé sur le
visage : l’oeil n’a de cesse d’y revenir irrésistiblement,
comme sur lui toujours revient l’ombre du destin muet. Tantôt
sa chair se dressait immobile, opaque, percée en son fond d’une
trouée lumineuse dont la béance tournoyante emportait le regard
et lui disait perdition : D’où viens-tu ? Qui es-tu ?
Où vas-tu ?
Puis je m’arrêtais un instant, saisie par
un morne paysage où seul résonnait le foudroiement des corps
(Ill. 3). Je ne sais qui ils furent. Une mère éplorée
sur son enfant mort ? Une piéta ? Un gisant ? Je n’ai
su que le chant muet de l’informe. Chant du malheur irréparable
qui frappe et de sa douleur qui vient foudroyer tous les sens : jusqu’à ne
plus entendre, si ce n’est bruit incompréhensible, jusqu’à ne
plus rien voir, si ce n’est silhouette inidentifiable. Là, regarde
ces vastes étendues brumeuses. Les noirs et grisailles y assourdissent
et éteignent l’azur vert de nos horizons intérieurs.
Elles poussent l’œil aux frontières de l’absurde
et à terre font chuter la raison. Elles te noient avec autant de force
que la matière insaisissable qui se répandait, tantôt
rocher opaque tantôt sable vaporeux, sur les murs de la Maison
du sourd. Je n’ai su que l’étrange limite de l’infigurable
et de cette muraille de peinture où l’œil fatalement cherche à reconnaître
une forme, comme désespérément on s’accroche à l’espoir
quand il n’est plus que le rien. Amas de rouges, tâches de bruns,
raclures noires. Un œil, une main, du sang. Empreintes d’une
humanité que le regard accueille et puis perd aussitôt. Aussi
belles et fugitives que ne le sont nos vies : guettées toujours par
l’insensé.