J’ai cru enfin entendre gronder le chant menaçant des colères noires. Il y eut enfermement, un sombre lieu, des hommes (Ill.4). L’un d’entre eux se tenait debout, bras tendus haut levés, poings fermés. Je l’avais déjà croisé, décliné en diverses poésies de la révolte (Ill. 5 et 6). Je ne sais si résonnaient là quelques musiques de la mémoire ni quelles histoires y naissaient vraiment. Je ne sais si, aux jeux de la métamorphose, cet homme fut crucifié ou bœuf écorché, s’il fut vagabond vêtu d’une peau d’ours, révolutionnaire, prolétaire, manifestant ou prisonnier. Je ne sais s’il fut ailleurs personnage romanesque naît entre les mains d’Hugo ou bien fusillé goyesque. Je n’ai su que la danse des ombres et des incandescences qui rageusement s’élevaient dans la nuit. C’était comme un feu de matière, noirceurs allumées d’ocres, animées de traînées en coulures, qui semblait attisé par le vent. Sorte de présence magique, instable, qui invoquait sous mes yeux d’étranges forces incontrôlables. Humaines et animales. Instinctives. C’était comme une beauté hallucinatoire. Elle venait du fond, de notre folie. Elle me faisait peur et me fascinait à la fois, avec autant d’intensité que l’œil exorbité de Saturne dans les Noirs Goya ! Je n’ai su que cette chaleur rouge qui brûle le ventre et ronge les veines, jusqu’à la forme même, quand face à l’oppression, la main de la race humaine se crispe sur la lame. Salutaire. Autant que démoniaque.
C’était un jour de Novembre.
Sortant de la galerie, la nuit était tombée.
Comme si l’ombre des Barrot était soudainement venue se poser sur
le pavé. Eblouie, l’œil bien ouvert, je marchais silencieuse
dans la rue devenue tableau. S’étaient éteints avec le crépuscule,
et mes mots et mes certitudes. Je ne savais plus très bien où je
devais aller ni même d’où je venais. Seule me restait l’impression
délicieuse d’être partie très loin de Paris l’endormie,
la tête rêvant en quelques cimes. Tout là-haut. Tu sais, là où sont
parfois ces rares peintres-poètes, inclassables, indifférents aux
modes, peu soucieux des stratégies d’en bas, que seule guide leur
violente envie de peindre et qui n’ont crainte d’aller au bout des
choses fut-ce par des chemins où personne ne va. Des peintres libres,
qui courent sur les toits, sans peur de trébucher parfois, le pied (la
main !) solide, l’œil illuminé par quelques lumières
intérieures. Oui, sûr que ce dut être là-haut que j’ai
rencontré Ronan Barrot. Qu’à ses côtés je me
suis perdue. Quelque part. En territoire peinture.
Amelie Adamo