Patrizia Runfola nous a quitté en 1999. A la
suite d’une longue maladie, comme on coutume de dire aujourd’hui
les journalistes. Elle nous a laissé quatre livres. L’un d’eux
est une fiction, particulièrement inclassable : ni roman, ni
recueil de nouvelles : Leçons de ténèbres (Editions
de la Différence, 2002, avec une préface de Claudio Magris).
C’est cet ouvrage magnifique qui a amené Gérard-Georges
Lemaire à construire une exposition homonyme. Dans un premier temps,
il l’a associé à une autre exposition, baptisée Le
Noir absolu, qui a été présenté en 2009
d’abord à la Villa Tamaris à la Seyne-sur-Mer (c’est
là que le catalogue a été conçu), puis au Centre
d’Art Contemporain de Mont-de-Marsan et enfin au CAC Eugène
Beaudouin d’Antony.
En réalité, l’exposition des Leçons de ténèbres s’est
conclue au mois de novembre à l’église Saint-Etienne, là où elle
a été imaginée avec l’équipe du service culturel
de la mairie.
Quand on pénètre dans cet édifice d’une grande
simplicité, on est frappé par le caractère baroque de
l’exposition – sans doute parce que les artistes invités
ont des démarches très différentes, qui sont placées
dans l’espace du lieu avec le soin de se répondre les unes aux
autres.
Tout de suite en entrant, sur la gauche, un tableau d’Albert Bitran,
d’un beau noir mêlé de couleurs sombres, donne l’illusion
d’une composition strictement abstraite. En réalité il
y a des formes en filigrane et un espace plus clair, si l’on s’en
approche, révèle des lignes manuscrites qui sont extraites du
livre (ce tableau s’inscrit d’ailleurs dans un cycle de toiles
de Bitran liées à la littérature, de Rimbaud à Kafka,
et, en dépit de leurs différences, sont liées par ce même
procédé : un bref extrait de l’œuvre écrit à la
main). A droite, le visiteur découvre trois œuvres d’Hans
Bouman. Elles sont d’aspects et de dimensions sans pareil, mais sont
liés par des caractéristiques communes : de petites toiles
enfermées dans des cadres noires et assemblées selon un plan
mental de l’artiste, irrégulier par définition. Des fragments
du visage de l’auteur constituent un autre lien, figuratif celui là,
entre les pièces de ce puzzle visuel. Toujours sur la droite, je me
retrouve devant deux grands tableaux de Solange Galazzo. L’un est quasiment
un monochrome bleu, l’autre, un monochrome brun. Ils s’attachent
tous deux à la représentation fantasmée du pont Charles
avec ses statues monumentales. Ce sont les poètes qui apparaissent comme
dans les pages du livre.
Dans l’imaginaire de l’artiste, la Prague de Patrizia Runfola
se mêle à la Sicile de ses origines et au Mexique de ses amours.
Par quelle magie ? Par l’exubérance baroque qui leur sont
communs. Ces toiles sont excessives mais, à force de les contempler,
elles procurent une sensation de force et de beauté, d’irréalité sans
doute, mais aussi de prégnance d’une fantasmagorie qui a pris
corps et âme. De l’autre côté, six compositions
de Benjamin se présentent à moi. Elles sont énigmatiques
dans un premier temps. Ce sont des peintures avec d’infimes collages
et assemblages. Je m’interroge, puis j’en perce le mystère :
la clef est un col qui se répète de toile en toile, le col
blanc de la sœur de la narratrice. C’est une manière très
fine et poétique de faire allusion à un détail du texte,
un détail d’une importance capitale dans l’économie
du récit et qui prend ici la même importance dans une transposition
plastique.