Ceci n’est qu’une peinture ! Non pas que cela l’affranchisse
de toute responsabilité, mais nos pendules ne sont pas à l’heure.
Car l’heure n’existe pas. Inutile alors de faire semblant avec
quelques réglages de pacotille, ou de s’engluer dans une molle
morale. Et à la question de l’esthétique des images,
d’une possible laideur dans The Happy Fisherman 3 ( Ondine ), Forstner
répond : « Ce qui m'intéresse c'est justement de
ne pas transcender la laideur ou de l'élever. Je ne veux pas nous élever.
Je veux un objet avec lequel on ne sait pas quoi faire, d'ailleurs la première
réaction, c'est de le rejeter car on n’a pas besoin de ça
pour vivre, cela ne sert à rien mais ça m'intéresse.
Rien ne justifie ce tableau, pas de texte, de religion, de mythe, bien qu'on
puisse coller pas mal de choses dessus, rien ne peut être fait en dehors
d'une culture même inconsciemment. Je me questionne sur ce que peut
faire une peinture. Nous sommes habitués aux images de violence dans
les films, dans les journaux TV et autres, on l'accepte et on regarde assez
facilement. Ce qui est intéressant c'est que si on fait une peinture ça
change tout, le tableau en soi culturellement amène autre chose, il
est la somme d’une pensée prise dans l’histoire et dans
un objet, la narration est contenue dans le tableau fixe. A l’inverse
d’un film on ne peut pas s'habituer à l'image qui défile
et passer à autre chose.Et puis on attend quoi de l'art, de la peinture?
La gueule du Fisherman est équivalente aux gueules de chien, tout
visage dans une peinture est un masque ".
Mais pourquoi un méchant noir ? Tu n’as pas peur que ce soit encore
mal interprété ?
« Oui, le gars dans la barque est un noir, c'est mon environnement
ici tout de même ! Le quartier dans lequel je vis et je suis né au
Cameroun ! Pour un blanc, c'est comme un autre substitut du masque, non ?
Bien sûr, je joue avec certains stéréotypes véhiculés
par une société blanche et pris dans l’inconscient collectif.
Il y a de l’humour aussi et quand je dis : « humour »,
je pense à Baudelaire et au rire, à la rencontre de deux sentiments
contraires, et pas nécessairement à quelque chose de « marrant ».
Mais pourquoi cette horreur ?
Nous sommes habitués aux images sado-maso et fleuries, dans les
gravures et dans les illustrations de tout temps, c’est tout à fait
acceptable dans leur contexte d’origine, mais si on en sort certains éléments
pour les mettre dans un autre, cela devient moins acceptable. La monstruosité n’est
pas nécessairement la défiguration ou le principe expressionniste,
mais cela peut aussi être simplement la décontextualisation d’un
objet ( ou d’une action ) pour le mettre là où il n’a
pas sa place a priori. Par principe la peinture est une aberration. Les caprices
de Goya sont un ensemble de petites horreurs, un défoulement, ses peintures
noires aussi, mais on a eu le temps de s'habituer ! Les Christ sanguinolents,
les têtes coupées, les scènes de massacres et de torture,
les écartèlements etcetera, tout ça est représenté dans
l'histoire de l’art, mais le texte justifie tout, la Bible ou autres,
on peut rattacher tout ça, puis Bosch, Brueghel, etc. Aujourd'hui, dans
l’ensemble, il y a beaucoup de récitations scolaires ou bien décoratives.
Il y a peu d'objet brut et naïf. Je veux dire une pensée qui s’attache à ce
qu’elle est, brute et sensible à la fois et qui ne s’en
défend pas, ce que l’on appelle aussi peut-être l’intuition
ou l’inspiration, termes que l’on évite tellement ils ont été galvaudés.