Cristine Guinamand. « En allant au noir jardin ».
par Amélie Adamo
Tantôt leurs enveloppes extérieures se renflent par la présence d’objets qui se font soudain calice agressif. C’est comme une boite de Pandore ouverte sur la folie du monde qui frappe violemment et rentre par effraction au dedans, déchirant nerfs et viscères. De leurs pétales acérés, ici clous pointus ou dents de scies aiguisées, là tranches de bois affûtées, elles griffent, piquent, blessent, transpercent. Elles enserrent aussi, perdent, enferment, oppressent, telles des grilles et portes closes brutalement dressées, tels des escaliers tronqués, droit ouverts sur le vide et l’errance.
Tantôt leur matière chaotique, aussi hétérogène et foisonnante qu’une enluminure, attire plus subrepticement l’oeil. Doucement il s’approche, attiré par quelques détails, et s’insère en leur sein qui subitement se referme comme le limbe d’une plante carnivore. Tel un insecte, le voici pris au piège. Il voyage alors, embarqué dans un fourmillement de nervures et filaments qui se métamorphosent pour lui en ferments oniriques. Filet d’étamines d’où est fécondée une multitude d’images qui n’apparaissent que par bribes, allusions, recouvrements : tout comme la mémoire oublie, refoule, diffère, assemble, tel un puzzle, les souvenirs, les désirs et les peurs. Là, près d’un arbre, une substance d’encre pourpre se diffuse, s’épand en lavis. Sève de vie et sang humain. Ici, les noirs contours d’un réseau végétal se transforment en tissu organique. Fibres musculaires ? Artères ? Un cœur bat en dessous. Là encore, embourbé dans l’épaisseur d’un flux énergiquement animé de raclures en coulures, d’entrelacs en aplats, l’œil se perd dans des espaces incertains aux échelles trompeuses, de vastes paysages en lieux clos, cave sombre ou chambre mortuaire. Et il y voit parfois surgir d’inquiétantes apparitions. Danse de figures humaines et fabuleuses où s’unit l’ombre à la lumière, l’angélique à l’infernal. Chair et fossile mêlés en un éclat furtif.