Cristine Guinamand. « En allant au noir jardin ».
par Amélie Adamo
Permettez-moi aujourd’hui de vous conter un bien curieux rêve.
Tout a commencé en plein Paris. Rendez-vous m’avait été donné par une jeune artiste pour la visite de son atelier. Arrivée à l’adresse indiquée, je me glisse entre les battants d’une lourde grille en fer forgé demeurée entrouverte et pénètre dans un étrange jardin. Aussi bizarre que le décor d’un vieux film expressionniste allemand. Le lieu m’est familier mais peuplé d’objets insolites. Ça n’a ni queue ni tête, le dedans au dehors, le dehors à l’envers, aussi absurde qu’angoissant : ici des pierres tombales surgies d’on ne sait où et flanqué au beau milieu d’herbes folles, un lit défait dans lequel repose une horloge cassée. J’entends les secondes frapper le silence immobile. Sur minuit l’heure s’est arrêtée. Année zéro. Le cœur fort battant, j’appelle. Personne. Seule présence de vie, disséminée ça et là dans le jardin, des œuvres. Peintures, dessins, assemblages. Je m’approche. Les regarde.
Elles semblent s’ouvrir telles des fleurs. Des fleurs du mal, hybrides jusque dans leur chair, dont la lueur sombre, belle et vénéneuse, pénètre mon œil et sème le trouble. Leurs couleurs, érubescente, violacée ou flamboyante, d’Aurore, solaire et lumineuse, d’Azur, profonde ou électrique, sont d’autant plus somptueuses qu’elles luttent toujours contre une noirceur abyssale. Elles sont corolle colorée souterrainement irriguée par une sève obscure. Voluptueux et terrible, leur parfum se diffuse comme un poison dans les veines. Lentement mais sûrement, il agit. Et voilà que leur corps prolifère en moi comme des excroissances monstrueuses, mi déchirures physiques, mi chevauchées imaginaires.