Vieillir, peint-elle
par Belinda Cannone
Et pourtant, rien de morbide chez V. B. Ici, un trait d’or semble indiquer le sol ; là, un trait vert fluo souligne le haut du bras ; un iris jaune vif est posé près de l’œil qu’il illumine ; partout diverses tâches de couleur apportent vitalité et énergie enjouée aux tableaux. Et sur chacun figure ce que le peintre nomme la « petite main du désir », sorte de bras de poupée coloré, collé au bas de la toile et tendu vers le motif. Vieillir, oui, mais désir jamais mort…
L’étrange beauté de la manière de V. B. tient à sa façon de faire surgir la matière du néant qui reste toujours visible. Les toiles en lin presque brut portent des traits de peinture noire plus ou moins diluée qui figurent aussi bien les contours que les pleins des objets, par cette magie qui fait que chez elle le vide peut suggérer une chair, une épaisseur, une substance.
J’ai vu quelqu’un retenir un sanglot devant « Mon ventre ». Car son ventre est bien mon ventre, c’est le sien mais aussi le mien, et le tien et le nôtre – ou cela ne saurait tarder. La fonction première de l’art est sans doute de travailler sur nos peurs et nos tabous. Or qu’est-ce qu’un vieillard ? Un mortel plus manifestement mortel que d’autres. Le vieillissement ? Le travail de la mort sur nous. Il est possible que l’obscénité du vieillir ne soit pas sans lien avec la connaissance problématique de notre finitude. Si l’interdit majeur, dans notre société, a longtemps porté sur la sexualité, ce n’est plus le cas. Reste cet autre tabou, aussi puissant (plus ?), ou devenu tel, peut-être, parce que notre civilisation se rêve a-mortelle, cache ses vieux et ses morts et combat férocement les traces du temps sur le corps. Mourir, sans rime ni raison, mourir du temps qui passe, aussi absurdement qu’on est né et, seul parmi tous les règnes, le sachant. Le sachant et ne voulant pas le savoir. Alors cacher l’œuvre du temps, n’en rien dire, ne rien s’en dire. « Pourquoi avoues-tu que ce sont tes seins ? »
Dans cette série, comme dans les précédentes, on voit encore les objets – ici la chair que travaille l’âge – s’enlever sur le néant. Mais ceux-là annoncent, dans le même temps, qu’au néant ils retourneront. Plus que jamais convient, à l’œuvre de V. B., la belle phrase de Montaigne : « Je ne peins pas l’être mais le passage ».
Belinda Cannone
Du 26 octobre au 25 novembre 2011, la (nouvelle) galerie La Ralentie expose Véronique Bigo :
« De la pierre à la peau».
La Ralentie, 22/24, rue de la Fontaine au Roi, 75011 Paris