Retour sur Véronique Bigo

Vieillir, peint-elle

par Belinda Cannone

mis en ligne le 01/09/2011

Quand Véronique Bigo a commencé à montrer les tableaux qu’elle a intitulés « Ma peau », « Mes seins » ou « Mon ventre », ses proches lui ont dit : « Mais pourquoi utilises-tu le pronom possessif ? Mets simplement " Seins " ou " La peau" ».

Parler de la vieillesse, d’accord, car les vieux, ce sont des autres, des très différents. Et quand il se trouve qu’ils sont nos familiers, qu’ils appartiennent juste à une autre génération, nous faisons mine de croire qu’ils ont toujours été vieux, qu’ils sont nés vieux… Oh, nous ne nous le disons pas si clairement : nous en sommes convaincus, voilà tout. Quant à dire son propre vieillissement, non pas l’état de vieillesse mais le processus – peu à peu, les seins qui tombent ou le ventre qui se détend, la peau qui fane : non, à aucun prix, trop obscène. L’obscène (mot à l’étymologie inconnue, on me permettra donc celle-ci), c’est ce qui doit rester hors de la scène, hors du visible, ce qui n’est pas montrable. « Mais pourquoi révèles-tu que c’est toi ? », a-t-on reproché à V. B. Eh bien, justement, parce que personne n’en parle et que dire ce dont personne ne parle est l’une des vocations principales de l’art.
Dans cette nouvelle série de tableaux, V. B. tente avec la peinture ce que de nombreux écrivains ont pratiqué ces dernières années et qu’on a appelé « autofiction ». J’ai souvent dénoncé l’exhibitionnisme et la présomption qui prévalent, la plupart du temps, dans ces tentatives littéraires. Ce n’est pas que le genre serait mauvais en lui-même, mais plutôt qu’il a été trop fréquemment mal utilisé, à des fins narcissiques ou pour dissimuler une difficulté à inventer, ce beau verbe de la fiction. Un tel a pensé que la petite histoire sordide qu’il avait traversée valait d’être portée à la connaissance publique, et telle autre a cru que sa notoriété rendrait forcément passionnante sa vie banale…
Pourtant, l’autofiction est un genre littéraire aussi intéressant que d’autres et il doit permettre, lui aussi, de restituer les « secrets communs », ces savoirs que chacun avait sur le bout de la langue sans vouloir ou sans réussir à les formuler, ces façons d’être au monde qui sont à la fois communes et informulées, et que les artistes se donnent souvent pour tâche d’exprimer. Ainsi du vieillissement...

V. B. a donc entrepris une expérience qui représente, en peinture, l’équivalent de l’autofiction. Mais, peut-être du fait de la violence que le visible, plus mimétique que la parole, exerce sur notre perception, quelques-uns se sont émus de son… absence de narcissisme, justement : « Ne montre pas cela, ne te montre pas ainsi ». Montrer pas quoi ? Deux seins si allongés que la peau se froisse sur toute sa longueur, un ventre amolli zébré de vergetures, un œil encerclé de ridules, des cuisses fripées… N’en jetez plus ! Oui, elle montre le travail du temps sur la chair, son ravage. Et, ici et là, une coulée de lave d’un beau gris ardoise accentue le mouvement descendant. Elle qui a si souvent peint la pierre des monuments, celle qui sert à l’édification, à la sculpture, à l’art, la pierre de la maîtrise, ascensionnelle quand bien même elle portait les traces de l’usure, voici qu’elle figure la lave de l’Etna, pierre en devenir car destinée à se pétrifier, mais qui brûle tout sur son passage, qui s’accompagne de jets de cendre et de fumées, la lave, funèbre et dangereuse, qui s’écoule vers la mer, la lave, devenir-tombeau du feu volcanique.

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action d'éclat

Du 26 octobre au 25 novembre 2011, la (nouvelle) galerie La Ralentie expose Véronique Bigo : 
« De la pierre à la peau».
La Ralentie, 22/24, rue de la Fontaine au Roi, 75011 Paris

www.laralentie.com