Nathalie Du Pasquier,
Des ensembles faits des fragments d’un même monde
Souvenons-nous du commentaire lumineux adressé par le narrateur de Proust à Albertine à propos de Vermeer : « Vous m’avez dit que vous aviez vus certains tableaux de Vermeer, vous vous rendez bien compte que ce sont les fragments d’un même monde, que c’est toujours, quelque génie avec lequel ils soient recréés, la même table, le même tapis, la même femme, la même nouvelle et unique beauté, énigme… »
Chez Du Pasquier, nous rencontrons toujours les mêmes objets abstraits, les mêmes bouteilles et les mêmes verres, en tant que fragments d’un même monde, réunis en des ensembles qui nous frappent par leur mélange d’humour discret et de fragile beauté : tout simplement son style.
Mais, ces objets-fragments d’un monde offrent un autre champ à la réflexion, s’il est vrai que tout objet esthétique apparaît au premier regard comme une figure privilégiée sur un fond d’objets usuels auxquels il est lié, mais dont il se sépare. Or la « figure », dans l’œuvre de Nathalie Du Pasquier, c’est l’objet usuel métamorphosé, et le fond, chez elle, est largement constitué d’exemples de ce même objet usuel qu’elle place volontiers dans son environnement personnel. La visite de son lumineux et bel atelier de Milan est instructive à cet égard : on y voit par exemple, immédiatement visibles ou soigneusement rangés dans un placard, la tasse à thé dont elle propose des versions monumentales dans certains tableaux, les grands gobelets à bière allemands, en faïence, dont la forme particulière l’a souvent inspirée ces derniers temps, ou encore des carafes, l’ensemble formant le « fond » de sa création.
Dès lors, le visiteur est aidé à prendre littéralement la place de l’artiste avec qui il refait l’expérience du fond comme garant de la forme parce que le monde est garant de l’objet. Devant les tableaux de Du Pasquier, nous sommes invités à méditer sur le fait que la distinction de la figure et du fond consacre, dans la perception, à la fois l’indépendance de l’objet et la relation nécessaire de cet objet à un monde qui le constitue comme objet. Ainsi, l’objet esthétique selon cette artiste affirme qu’il vient du monde quotidien, et refuse en même temps de se laisser intégrer, par la perception, à ce même monde.