Garouste le Père-turbé
par Jean-Paul Gavard-Perret
Dès lors, et même si le spectateur est inséré dans une situation perceptive dont il connaît le « jeu », les transformations procédées par l’artiste (le décadrage de « The Gift » par exemple) font que la boucle n’est jamais bouclée. L’image est directe mais dans le différé. C’est au spectateur d’effectuer un travail de transformation, de transcription à l’image du processus que la créatrice a tramé. Ce qui est donné à voir n’est donc pas simple, n’a rien d’une évidence. Entre la peinture et le spectateur se trame un lien où s’unissent l’une et l’autre comme d’étranges partenaires. Daryl Zang demande au spectateur une disponibilité et un relâchement de ses réflexes acquis. C’est pourquoi l’indifférence est impossible. Il convient soit de rejeter de telles oeuvres au nom de l’incompréhension qu’elles génèrent dans notre paresse mentale, soit d’entrer dans ce travail de reconstruction puisque le regard n’est plus en phase avec ce qu’il voit généralement dans ce type d’images.
La peinture (comme la femme) devient la fleur de personne mais c’est ainsi que la créatrice lui redonne une identité et une intimité. Mais il y a plus : la peinture renvoie le spectateur non à sa propre image narcissique mais à ce qu’il a fait des autres. En cela cette oeuvre est celle de la responsabilité. Oui, elle rend comptable de ce qu’on fait par ce qu’on doit voir au plus profond de soi. Il s’agit de le dépasser afin de se réapproprier l’image de manière personnelle et subjective. Le traitement de Daryl Zang en augmente la motricité, la dynamique. Elle “ désidère ” l’image en la débarrassant de sa charge fantasmatique. L’artiste atteint ce que Deleuze nomme dans “ L’Image-mouvement ” “ la perception de la perception”". C’est le moyen d'éliminer le voyeur en anéantissant le pré-visible. L’oeuvre apparaît donc comme une coupure. La distance instaurée par ses processus devient un abîme où le corps bascule mais au sein duquel surgit une étrange intimité. C’est pourquoi il convient de s’emparer de cette image devenue plus abstraite qu’il n’y paraît. Il faut apprendre à voir ce qui n’est pas montré et qui plonge dans un abîme de perplexité.
Il semble parfois que les femmes (et parfois des enfants) sont coupées du monde et qu’elle rêvent – ce verbe est important car il y a loin chez elles de la coupe aux lèvres - de vivre comme le reste d’une peuplade perdue dans le temps lui-même. Bien plus encore qu’au sein de l’espace c’est dans le temps que les personnages de Daryl Zang sont désemparés. Il leur faudrait sortir de leur histoire afin d’atteindre un “ temps pur ” qui n’appartiendrait qu’à elles. Peut-être un temps sans conscience, un temps des premiers êtres.