Garouste le Père-turbé
par Jean-Paul Gavard-Perret
Et l’amour serait ainsi non seulement le philtre mystérieux qui unit et sépare mais aussi le filtre contre la réceptivité organisée, à l’hospitalité sociale exogame, sélective, qui ne cesse de trier et ne peut accepter la passion qui dérange son ordre. L’amour en effet s’inscrit toujours en faux contre la convention collective des pactes sociaux. Pour preuve les femmes de Daryl Zang restent toujours seules. Elles deviennent la fausse note qui vient perturber le choeur antique de l’ordre.
L’amour chez la créatrice américaine est suggéré par la chair. Elle le manifeste comme si ses femmes tentaient de sortir du jeu d’inhibition psychique et de la stupeur organisée. Mais c’est un luxe que la société ne peut s’offrir et qui fait capoter la passion dans quelque chose de mystique. Et si dans l’œuvre la chair n’est plus un écrin elle reste au centre du dispositif réellement « poétique ». Ce n’est pas l’odeur obscure qui surgit mais une lumière qui révèle le corps fantomatique. La peinture permet d’entendre ce qui n’a pas de nom, de s’approcher de soi en d’approchant de l’autre. C’est pourquoi chez Daryl Zang ce ne sont plus les images elles-mêmes comme vecteurs de sens qui opèrent mais leur musique du silence.
L’œuvre permet d’ouvrir les yeux sur la force et le désastre des sentiments. Les femmes de l’artiste restent toujours retranchées comme si celle qui aime ne pouvait atteindre le continent de l’autre, redevenant étrangère devant un étranger. Mais, en même temps, devenant plus intime sans doute à elle-même, à sa propre étrangeté intime. En conséquence le corps parle, mais une langue étrangère, extraordinairement mutique. L’artiste donne à cet état une dimension neuve, plus immédiate, plus “ simple ”. Une jambe peut alors suffire et de manière quasi involontaire à l’expressivité sensorielle du cœur. C’est bien là la force de Daryl Zang : le centre de son oeuvre est d’absence. Reste une musique du silence que la peintre pousse au paroxysme le plus intense pour le rendre “ visible ”. La nudité qui se dresse dans la plupart de ses œuvres est une nudité inévitable, irrésistible, ridicule, merveilleuse, atrocement merveilleuse. Demeure à travers elle la dénudation qui à la fois suit et précède le langage, ce sur quoi l’être n’a pas de prise. L’artiste nous rend donc plus perspicaces sur le degré de sincérité, de présence, de capacité de nos corps. Nous pouvons moins nous mentir lorsque la peinture, au vœu de chasteté, préfère celui de la vérité.
Jean-Paul Gavard-Perret