Cette existence est néanmoins picturale. Il est en effet intéressant de noter que les personnages peints par l'artiste sont le produit de son imagination. Ils ne sont nullement des portraits de proches, d'amis ou de passants mais des projections de ses pensées. Immortaliser une personne, éterniser un visage, conserver un souvenir, là ne sont pas les préoccupations de Lynette Yiadom-Boakye. Son attention se focalise sur la palette de couleurs et la technique picturale. Elle envisage à ce titre la peinture comme le simple résultat d'un processus artistique.

        Des exclamations m'extirpent de mes pensées. Les enfants s'agitent soudain, courent d'une toile à l'autre. Les personnages semblent alors s'animer avec eux. Toutes ces compositions, caractérisées pourtant par une absence quasiment systématique d'accessoires et un décor souvent indéfini, me paraissent tellement familières. Au fil des minutes les écoliers s'apaisent, leurs cris se transforment en chuchotements, la magie de la peinture de Lynette Yiadom-Boakye opère. Des petits groupes se forment devant chaque toile, certains enfants s'assoient au sol et semblent engager une conversation intime avec les personnages.

        Je prends alors conscience que j'assiste à un étonnant spectacle. Ces personnages sans identité, si détachés du quotidien, dégagent pourtant une incroyable 'aura'. Leur regard est perçant, leur rictus parfois déroutant, leur pose généralement naturelle, et les yeux écarquillés des enfants qui m'entourent rendent la visite de cette exposition assez surnaturelle.

        L'intérêt de l'artiste se situe définitivement dans les principes académiques de la peinture, dans la création, le médium, le visuel, l'effet plastique. Ses compositions sont simples, dénuées d'ornements, d'anecdotes, de décors, les toiles ne sont pas encadrées, simplement fixées au mur. Et pourtant leur potentiel narratif est incroyable. Le talent de Lynette Yiadom-Boakye réside ainsi dans cette subtilité entre production artistique et pouvoir de narration.

        Finalement cette visite ne m'aura pas permis de véritables face à face avec les oeuvres et mon attention aura été quelque peu distraite, mais le plaisir esthétique n'en a pas été amoindri pour autant. Les toiles ont assurément réussi à exister au sein de notre groupe et il apparaît évident que les écoliers et moi-même ayons ressenti leur présence. Au moment où je quitte la Chisenhale Gallery, un petit garçon s'avance doucement vers 'Greenfinch'. Il s'approche à quelques centimètres de la toile, observe, recule puis s'assoit. Le contact est établi.

Marie Jasseron
14 Mai 2012