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Morteyrol,
le peintre « pop-new figuration »
Morteyrol et Coca-cola
par Jean-Luc Chalumeau

Morteyrol se définit lui-même comme « pop new figuration », non sans de bonnes raisons : ancien chef de studio chez Walt Disney, mais aussi ancien président de la Jeune Peinture au début des années 70 (la période la plus « politique » de ce salon), il est à la fois techniquement rompu au style de la bande dessinée américaine, c’est-à-dire à la manière pop de peindre, et orienté par une conception du monde partagée avec la Nouvelle figuration dont le noyau central est la Figuration narrative. Or, parmi tous les peintres pop – américains et européens – et tous les artistes de la Nouvelle figuration, Morteyrol est incontestablement celui qui accorde la plus grande place à l’image de Coca-Cola, laquelle, visiblement, le fascine depuis toujours.

Il s’agit de sa série Super-héros: une quinzaine de tableaux dont on retiendra d’abord celui où Spider-man se détache sur fond de neuf versions de la marque Coca-Cola en neuf langues différentes. Spider-man, le super-héros créé en 1962 par Stan Lee et Steve Ditko pour Amazing Fantasy, eut son propre magazine dès l’année suivante (The Amazing Spider-man) avant de conquérir la planète entière grâce au cinéma. Le super-héros américain, c’est lui. Mais, dans ce tableau, il semble que Spider-man, malgré la puissance de son bond, ne parvient pas à atteindre l’autre super-héros américain, Coca-Cola, lui-même planétaire comme en témoignent les différentes versions de la marque. Le tableau est entièrement rouge, du rouge Coca-Cola. Spider-man a trouvé son maître.

Dans un tableau cependant, Spider-man et Coca-Cola ont fait alliance. Spider-man, confortablement installé au milieu d’un champ de bataille, lit en tenant de la main droite sa bouteille. Les hélicoptères américains qui l’environnent ne l’inquiètent pas : les soldats américains ne sont-ils pas, comme lui, des buveurs de Coca-Cola ?



Spider-man laisse la place à un autre super-héros dans un troisième tableau : il s’agit de Captain America, sauveur de l’Amérique créé pendant la deuxième guerre mondiale, qui réapparut au moment de la guerre du Vietnam, occupant la partie gauche. En vis-à-vis à droite : Lénine, figure emblématique de l’URSS. Au milieu : la marque Coca-Cola en russe, qui laisse Lénine impassible. On peut comprendre que Captain America et Coca-Cola ont vaincu l’URSS puisque les russes boivent du Coca (le peintre force un peu la réalité, car l’on sait que c’est plutôt Pepsi qui a réussi à s’implanter dans la Russie d’aujourd’hui).

Coca-Cola n’est pas présent seulement dans la série Superhéros: Morteyrol l’a également introduit dans la série Résistance. Betty Boop a enfourché une bouteille volante dans un tableau, et une autre bouteille, renversée, se répand sur un arabe dans un autre. On sait que partout où la religion musulmane fait loi, on ne boit pas d’alcool mais volontiers du Coca- Cola (même s’il est vrai, remarque malicieusement Morteyrol, que toute personne invitée à une réception au Palais Royal du Maroc sait que demander « un coca » suffit pour se faire servir un cocktail Coca-Cola-whisky à 50 % chacun…). En face de l’arabe, Lucky Luke (le mythe américain du cow-boy implanté en Europe) est placé devant la silhouette du musicien Lester Young. Au centre, en haut de la composition, la marque en arabe : décidément Coca-Cola est universel… Morteyrol, peintre français vivant dans le Var, a lui-même conféré une dimension internationale à sa peinture. Il pratique le métissage culturel, étant entendu que l’agent de liaison entre tous les éléments qu’il rassemble, toutes les cultures d’est en ouest et du nord au sud, l’opérateur de syncrétisme aujourd’hui, que l’on s’en plaigne ou que l’on s’en félicite, est bien Coca-Cola.

Morteyrol a été vivant frappé, comme des milliards d’hommes, par le 11 septembre 2001. En précipitant deux avions de ligne sur les Twin Towers, Al Quaida voulait certes tuer le plus possible, mais cherchait surtout à atteindre symboliquement l’Amérique (« Tel est l’esprit du terrorisme, écrivait Jean Baudrillard peu après l’événement, déplacer la lutte dans la sphère symbolique, où la règle est celle du défi, de la réversion, de la surenchère »). Si donc Coca-Cola est bien l’Amérique, voici deux bouteilles de la marque figurant les deux tours subissant l’attaque, sur fond de drapeau américain américain dont le rouge devient du sang qui coule : l’Amérique saigne, elle souffre. Si, du point de vue formel, Morteyrol semble emprunter à la série Le Rouge de Gérard Fromanger (1968), l’intention est radicalement différente : Fromanger dénonçait TOUS les Etats comme sanguinaires, alors que Morteyrol traçant la silhouette de la Colombe de Magritte derrière les deux bouteilles, se solidarise avec l’Amérique victime de la barbarie aveugle. Nous sommes tous des américains avait écrit Jean-Marie Colombani, le lendemain de l’attentat, dans Le Monde. C’est sans doute le sentiment qui anime le peintre, s’exprimant avec les moyens de la peinture, quand il adopte Coca-Cola en tant que l’essence même de l’Amérique. Ce n’est pas parce qu’il se bat depuis plus de quarante ans contre les dérives de la société de consommation dont les Etats-Unis sont l’origine que le peintre devrait être dépourvu de lucidité et de sensibilité. Au contraire, à travers le thème de Coca-Cola, ce peintre aura réussi a nous parler du monde tel qu’il est, et de la peinture telle qu’elle n’a jamais cessé d’être : un irremplaçable moyen de dire ce que les mots ont bien du mal à formaliser.

Dernier exemple, ce Surfer d’argent qui permet à Morteyrol de reprendre, en 2008, sans état d’âme, son combat contre l’égoïsme de la première puissance économique de la planète, non signataire du protocole de Kyoto. Sait-on qu’il faut à chaque bouteille de Coca-Cola quatorze fois son volume d’eau pour en fabriquer le contenu ? L’Amérique-Coca-Cola est la première responsable des catastrophes climatiques en cours. Le tableau évoque un nouveau déluge : trois bouteilles de Coca-Cola surnagent sur une mer démontée. Au-dessus d’elles surgit le Surfer d’argent : encore un super-héros, mais impuissant à sauver le monde semble-t-il. « Les super-héros ne sont que le reflet de l’esprit américain policier de la planète » conclut le peintre, désabusé. Le tableau pourrait s’intituler « L’impérialisme commercial américain à la dérive ». C’est une des images les plus réussies de Morteyrol. Et l’une des plus désespérées.

Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 06/09/2008
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