Partant du fait
que Bernard Morteyrol est un peintre figuratif,
j’ai rédigé les dix-sept propositions
suivantes qui lui sont dédiées et
qui constituent une approche de son travail mais également
de celui des artistes qui se préoccupent,
en apportant chacun sa propre réponse, des
mêmes types de questions :
La peinture figurative est une réflexion
sur le monde dans lequel nous vivons, sur la
réalité qui est la nôtre
(matière, nature, ville, objets, hommes
et femmes…)
La peinture figurative est une réflexion
sur nos appréhensions physiques et mentales
de la réalité, sur nos sensations,
nos perceptions, les mécanismes de notre
vision et de notre cerveau…
La peinture figurative est une réflexion
sur notre culture qui est fortement liée à l’oeil,
langage visuel, images, clichés, stéréotypes…
La peinture figurative est une réflexion
sur les outils, les systèmes, les codes
de représentation et de lecture, dessin,
couleur, perspective, photo, cinéma, vidéo,
ordinateur…
La peinture figurative est une réflexion
sur notre imaginaire, le jeu et le plaisir, le
rêve, le fantasme, le symbole, l’énigme,
le mystère, l’illusion…
La peinture figurative est une réflexion
sur notre société et ses limites,
ce qui est accepté et qu’il est
permis de montrer et de voir, ce qui est refusé et
qu’il est interdit d’exhiber, de
révéler et de regarder…
La peinture figurative est une réflexion
sur la liberté, l’utilisation et
la manipulation des images et par les images,
idéologie, propagande, stratégie,
information, médias, presse, télé,
informatique…
La peinture figurative est une réflexion
sur l’aspect financier et l’impact économique
des images, marchandise, publicité, consommation…
La peinture figurative est une réflexion
sur l’art, son histoire, son évolution,
ses tendances, ses recherches et sur les oeuvres
des autres artistes passés et présents…
La peinture figurative est une réflexion
sur la tradition et la nouveauté, sur
le lien avec les valeurs constantes et le doute,
la révolte, la rupture, la remise en question…
La peinture figurative est une réflexion
sur ses propres frontières, ses propres
définitions et qui peuvent d’ailleurs
varier avec le temps. C’est ainsi que,
selon les époques et les critères
culturels, elle peut rejeter ou admettre certaines
formes – jugées anecdotiques ou
mineures – d’imagerie, l’illustration,
la décoration, l’art populaire ou
certains aspects du réalisme conventionnel,
pompier, académique…
La peinture figurative est une réflexion
sur les conventions morales et les jugements
esthétiques : sur le goût, le sens
de la beauté et de la laideur, sur la
grandeur, le sublime, la réussite plastique
et sur les thèmes qui semblent les plus
quotidiens et de moindre importance, sur la banalité,
sur ce qui a l’air d’être bancal,
mal fait, sur l’impureté…
La peinture figurative est une réflexion
sur son statut, sa fonction et sur son utilité.
A-t-elle quelque chose à dire, un message à faire
passer, un contenu, un signifiant à comprendre,
un engagement à affirmer ? Doit-elle émouvoir
? Ou se situe-t-elle dans l’agencement
stylistique des couleurs et des formes, dans
l’autopréoccupation du langage qui
se construit et se déconstruit ?
La peinture figurative est une réflexion
sur l’histoire. Une peinture d’histoire
est-elle possible ? L’artiste doit-il être
le témoin de son époque ou doit-il
se tenir à l’écart ? Et s’il
ne rend pas compte de l’histoire, peut-il
au moins raconter ses histoires ?
La peinture figurative est une réflexion
sur le spectacle, sur la vérité et
l’illusion, sur l’authenticité,
sur la narration, sur la fausseté et le
mensonge, sur la mise en scène, sur la
théâtralité, sur le montage
des séductions et des impacts destinés à capter
les yeux du regardeur…
La peinture figurative n’est pas une réflexion
uniquement sur l’espace comme cela paraît évident
mais bien une réflexion sur le temps.
L’expérience que font les artistes
de la pratique de la peinture implique un rapport
particulier avec le temps. Le geste de la main
qui consiste à appliquer la couleur sur
la surface du tableau inscrit la trace du mouvement
et de la durée. Cela donne une vie à la
peinture qui la distingue de formes mécaniques
dans lesquelles le temps se dépose d’un
seul coup et uniformément.
Le temps qui se trouve conservé dans
l’espace du tableau demande un certain
temps pour être perçu par le regardeur.
Une oeuvre peinte n’est pas toujours facile à déchiffrer, à ressentir
et à mémoriser. Actuellement, cela
devient encore plus difficile à cause
des médias. L’attention n’est
plus que de quelques secondes. Un, deux, trois,
et hop, on passe à une autre image, il
faut aller vite dans le monde de la communication
! La peinture est marginalisée, sa place
n’est plus au centre. Et même si
ce n’est pas son but, même si elle
ne le veut pas vraiment, elle est en résistance. |