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Dossier Sergio Birga
Une autre metafisica |
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Par Gérard-Georges Lemaire |
Propos liminaires
Latelier de Sergio Birga a de remarquable dêtre tout en longueur. De ses nombreuses fenêtres, on peut découvrir la magie des toits de Paris, avec leurs mille plans gris plus ou moins inclinés, leurs cheminées comme autant de pinacles, baignés par les dernières lueurs du crépuscule. Un chat dun blanc irréel passe sous la banquette recouverte dune étoffe dessinée par William Morris. Sur les murs salignent des tableaux de différentes époques : le vieux cimetière juif de Prague, un grand cirque désuet dressé au milieu dune place démesurée (ce cirque a précédé celui quil a exécuté lan passé pour représenter "Un artiste de la faim " de Franz Kafka), des places de villes où le passé sest stratifié, des places italiennes bien sûr, mais aussi des places de la périphérie qui ont encore une atmosphère à la Carné ou à la Renoir, une vue de Copenhague, une autre dOslo, et une série de toits parisiens à plusieurs moments de la journée, un peu comme ceux que je vois derrière les vitres de la rue Meslay. Sur le chevalet placé de biais presque en face de la porte, lartiste a commencé une scène religieuse. Non loin de là, sur la paroi du fond, il y a un autoportrait où il a figuré Otto Dix, quil a rencontré pendant sa jeunesse et qui la beaucoup impressionné. Et puis voici le portrait dAnnie, qui semble veiller sur ce lieu. Sur lune des tables sempilent quelques planches xylographiées, des photographies, deux ou trois livres et des crayons. Un carnet de croquis aussi.
Cette vaste pièce est le compendium de lunivers de Sergio Birga ses voyages, ses lectures, sa vie intime, ses pensées secrètes, sa foi religieuse, ses admirations et, surtout, sa vision de lart. Jy découvre un raccourci de son histoire picturale, des travaux des Halles qui lavaient beaucoup frappé alors jusquaux plus récents paysages urbains.
Une seule chose manque à mes yeux: les premières compositions inspirées par les maîtres de lexpressionnisme allemand (il a été un des rares à les avoir exhumés au cours des années soixante et il a tiré de leur fréquentation une manière très originale qui na pas été comprise en ce temps-là) et aussi les premières manifestations de son engagement dans le groupe de la Jeune Peinture. Mais, pour lessentiel, latelier peut passer pour un petit musée très improvisé. Birga en change souvent lorganisation, mais toujours de façon subreptice, comme si cet ordre devait être remplacé par un autre par une série de permutations discrètes.
Parfois, quand je lui rends visite, jai limpression de me trouver dans une galerie de tableaux où lartiste viendrait se recueillir et parfois exécuter une pièce nouvelle pour lenrichir. Car il ne tient pas à faire de son atelier une sorte de théâtre où lon passerait pour assister au combat du créateur avec ses démons. Si théâtre il y a, cest un théâtre privé, quil réserve à son travail et quil ouvre parfois à quelques amis, à une poignée de connaissances, à ses collectionneurs et aux représentants du microcosme de lart, marchands ou directeurs dinstitutions.
Linvention dune peinture chargée dambiguïtés
Il y a mille façons dentrer dans la peinture. Dans celle de Sergio Birga comme dans nimporte quelle autre. Jen connais une au moins qui me semble être la plus efficace et la plus délectable aussi. Il suffit de passer sous lun des porches monumentaux dune ruine antique ou sous le portail en pierre dun grand jardin de lIle de France, ou encore davoir la curiosité de se glisser par lencadrement dune porte entrebâillée dune auguste demeure vénitienne au bord dun canal ou dun petit palais florentin. Accomplir ce geste ce nest sans doute pas affronter le terrible avertissement de Dante Alighieri ou même passer de lautre côté du miroir. Mais cest éprouver le désir de faire sienne ces fictions peintes. Cest vouloir croire que cet artifice est un élément essentiel de sa vie.
Dans un bon nombre de tableaux, le peintre révèle une étrange et curieuse familiarité avec Hubert Robert. Comme lui, il aime composer des paysages où il agence des vestiges, les uns réels, les autres imaginaires. Mais il ne puise pas comme son illustre prédécesseur dans le répertoire dune Antiquité classique pour lessentiel romaine. Si ses vedute sont, comme les siennes, de purs rêves esthétiques, elles ne répondent pas à un programme iconographique et spéculatif bien établi. Et puis il ne table pas sur une sensation de nostalgie dun univers révolu à jamais et qui portrait en lui toutes les beautés du monde. Si une pointe de mélancolie sinsinue dans ces compositions, elle nadvient quassociée à une pointe légère dhumour, une once dironie et, plus que tout, la volonté de fabriquer un piège subtil à lintention du spectateur distrait. Plus on les examine et moins elles paraissent crédibles. Et pourtant, il sapplique le plus souvent à utiliser des architectures tout à fait authentiques, de monuments connus des amateurs et de chefs-duvre qui ont survécu aux injures du temps. Mais il les déplace, les dispose en des lieux incongrus, les associe à dautres vestiges ou même à des pièces monumentales complètement inventées. En sorte quil met en situation des perspectives où la vérité et le mensonge se confondent pour ne plus faire quun : seul compte pour lui le simulacre dévoilé.
Je nhésite pas un seul instant à affirmer que Sergio Birga a jeté les fondements dune nouvelle peinture métaphysique. Elle se distingue de la metafisca de Giorgio de Chirico (ou de ses proches Carlo Carrà, ou Giorgio Morandi) en ce sens quelle ne joue pas sur des relations absurdes et oniriques entre des objets inconciliables ni sur la transformation de lespace du tableau (la bonne vieille finestra héritée de la Renaissance) en un petit théâtre avec un décor irréel placé dans une perspective accélérée. Toutefois, aussi loin puisse-t-il être de cette esthétique, Birga envisage lui aussi le tableau sous lespèce dune condensation onirique. Mais il préfère conservé un peu du principe de réalité pour renforcer la dose dambiguïté quil insinue dans ses uvres. Chez lui, le silence domine comme chez lauteur de Nostalgie dun après-midi dautomne et de Place dItalie et est écrasant. Le temps est suspendu, le temps est problématique. Mais il en rend les effets dans une optique bien diverse. Les terres occidentales se couvrent de ruines et donnent le sentiment dêtre dévorées par leur passé comme si cétait un Saturne impitoyable. Malgré tout cela, en dépit de quelques signes perturbateurs de la modernité, on ne parvient pas à prendre les scènes quil propose à notre jugement au tragique. Leur gravité (qui nest pas à remettre en cause) est sans cesse contrecarrée par un effet de leurre et par la dérision qui peut sattacher à ces pratiques illusionnistes. Cest dailleurs ce qui fait de Birga un peintre qui, mine de rien, veut avoir partie liée avec le passé des maîtres du Siècle dOr, avec les peintres marquants de lépopée moderne et avec les clauses contraignantes et hypothétiques daujourdhui. Ni passéiste, ni moderniste - donc : ni réactionnaire, ni davant-garde Birga a mené une quête très singulière et très déroutante où le tableau peut avoir pour sujet lamour de la peinture et toutes les vicissitudes de cette relation.
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Gérard-Georges Lemaire |
mis en ligne le 13/03/2007 |
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Dossier
Sergio Birga
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