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Dossier Sergio Birga
Sergio Birga, pictor florentinus |
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Par Adrien Salmieri |
Kunst kann nicht modern sein ;
Kunst ist urewig
Lart ne peut être moderne;
lart est de toute éternité
Egon SCHIELE, 1912 |
Sergio Birga, en dépit ou comme son patronyme lindique à qui sait le décoder, est Florentin, Toscan et Italien : Florentin de souche, Toscan de culture, Italien de par létat civil. Cette triple appartenance inclut à la fois les traits de la contradiction et de sa résolution.
Si lon fait référence à ces identités, cest quelles aident à interpréter certains aspects de son uvre de peintre et de graveur dont la lecture est loin dêtre évidente pour un public habitué désormais aux facilités du prêt-à-peindre qui encombre tant et trop de musées et détals de galeristes.
Demblée saute aux yeux que lon pardonne le jeu de mots -litalianité de cette peinture et de ces gravures que Birga, avec obstination, réalise jour après jour, mois après année, inlassablement il faut lavoir vu dans son atelier pour comprendre ce quuvrer signifie.
Florentin, il se réclame dune Tradition, des traditions, fondamentales dans lhistoire de lEurope - quil sagisse des lettres, de la peinture, des sciences, mais surtout, visiblement, de celle de cette cité-Etat où sest inventée la démocratie municipale moderne, avec ses bienfaits et sa violence civile.
Cette allégeance saccompagne de ladhésion à ce que lusage appelle " italianité " dont on dira, au risque de la simplification, quun des constituants de sa polymorphe caractéristique et qui devrait la fonder, si tant est que le concept ditalianité se puisse définir en quelques lignes, reste la violence - toute lhistoire italienne : civile, culturelle, politique en demeure animée et en fournit les preuves dans ses guerres civiles et luttes municipales dhier et de naguère.
Que Birga soit un peintre " italien ", il suffit dexaminer de près sa production, où lon décèle, en continuité, la trace des grands ancêtres, du Quattrocento aux expériences de la première moitié du XX e siècle, trace qui lui fait recouvrer la palette des Anciens, par exemple dans un récent Chemin de Croix (2004) ou dans le Triptyque de Tous les Saints de 2006. De la sorte, relié à la grande tradition italienne - et non seulement italienne, puisque il sest formé aussi à lécole dun Dix, dun Heckel, dun Felixmüller, quil a fréquentés - Birga prend ses racines dans les mythes fondateurs de limaginaire occidental.
De sa revendication municipale il tire son penchant pour la description de lieux urbains ou périphériques (rares, les paysages de la campagne ouverte, sauf pendant sa période expressionniste de 1960-65 et dans ses aquarelles de voyages de la vingtaine dannées passées) : serait-ce parce que dans la peinture florentine la ville est si souvent évoquée en sa minutieuse présence, non point seulement documentaire mais à la fois décor pour la mise en scène des actions et elle-même action ? Lobservation vaut aussi pour le thème récurrent du cirque (traité dans les années 60 et dans ces dernières années) qui de plus, par ses renvois à Valori Plastici, à Sironi et même à De Chirico confirme "litalianité " de cette peinture. Il est aisé, à le parcourir, de le constater dans lopus pictural : en létat actuel de la documentation, il existe peu de tableaux de Birga, du moins jusquà la fin du XX e siècle, qui ne portent témoignage, parfois le plus brutal, de ce quest la ville contemporaine (en son éphémère, dite " moderne"), de ce quelle a été.
Peinture, plus que de lévénement, de ce quil faut dénommer, décalquant les propos de Birga, peinture de layant été (qui est loin dêtre un étriqué passé simpliste, un pur état passé qui ne reviendra plus), en ce quelle se réfère à un quelque chose qui est anamnèse, mémoire provoquée célébrée selon les rituels dune mise en forme qui peut paraître, à lobservation hâtive, uniquement figurative.
Nous sommes alors en présence dune authentique liturgie élégiaque (quant à la déploration implicite) : chaque tableau, rue de ville, parc, veduta convoque le regardant à une cérémonie froidement funéraire, (doù sont exclus les larmoiements de lapparat funèbre) et où nagit que la plongée dans un espace de mémoire forcément intime.
Nous voilà en face de nos propres responsabilités, nous voilà sommés de nous interroger sur ce qui là, sous nos yeux, vient de se passer et, encore plus impérativement, sur ce qui est à venir : peinture véritablement inquiétante, cest-à-dire, en traduisant : qui nous tire de notre quiète certitude de spectateur averti qui connaît la chanson critique et l" histoire " (!) de la peinture - habitué au bien-être du corps et de lesprit. Lassertion est particulièrement vérifiée par ladmirable série des Portes de la deuxième partie des années 80 (on renvoie à La porte à la choéphore [1985]; à La porte aux trois déesses de la même année; à la tragique et abyssale Porte au massacre des Innocents de 1986).
Que se passe-t-il derrière ces impeccables façades, ces perspectives perdues, ces portails toulousains enténébrés, éclairés par len dedans, que sest-il passé au fond de ces allées et dans ces carrefours où nul humain ne passera plus, à jamais ? Jean-Luc Chalumeau, dans sa présentation de la personnelle de 1988 (Galerie Nicole Ferry) écrivait : " Cette peinture affirme la perte de la continuité et du propos inscrit dans un sens (unique), mais elle démontre du même coup combien elle est libératrice. Les fragments divers dune histoire de lart rendue à ses éclats multiples nous restituent notre propre présent ". Alors, Birga antimoderniste ? Oui, sans doute ; mais avec autant de raisons, non Birga, sil est un peintre de la mémoire, est aussi le facteur dune peinture résolument contemporaine, par le regard quil porte sur la ville.
Lautre versant de lopus, où ces caractéristiques se retrouvent stylisées mais très fortes, est luvre gravée. Là encore, suivant une tradition italienne militante, Birga pratique la technique de la xylographie, marginalisée en France en faveur de la lithographie beaucoup moins contraignante qui ne se souvient de la collection davant-guerre de chez Fayard, " Le Livre de demain" qui pendant des décennies illustra ses volumes avec des xylos de belle facture ?
La tradition italienne est vivace et a vu dans ses tablettes sinscrire les noms dune myriade de graveurs, parmi lesquels un Cambellotti, un De Karolis, un Rosai, un Parigi. Ce dernier a servi de déclencheur à la vocation de graveur de Birga dès les années 60, qui marquent le début de son activité picturale. Et pour revenir sur la vitalité de la xylographie italienne, on diffuse encore de nos jours en Toscane et ses environs des calendriers (là-bas bien plus poétiquement appelés lunari, livres des lunaisons) sous le pseudonyme de Sesto Caio Baccelli, illustrés par de délicieuses (fausses) xylographies (faussement) naïves. Naïveté à part, cest à cette tradition que Birga se rattache. Quant aux " sujets ", une remarque fondamentale: la gravure, ici, ne fait que rarement bande à part, le plus souvent elle est en redondance avec luvre peint redondance au sens où limage réfléchie dun miroir à un autre qui lui fait face nest pas purement redondante: elle signifie autre chose (en plus, en moins) et elle demeure signifiante.
La manière de reprendre des arguments largement présents dans sa peinture le Paris des grands chantiers des dernières décennies du XX e siècle par exemple - est révélatrice : abordant par la gravure la Destruction des Halles (à plusieurs reprises entre 1972, 1976,1984 et 2006, dont un Triptyque, et son impressionnant panneau central), Birga ne se limite pas à traiter formellement ce que la matrice lui impose. Comparée à la version peinte, où le jeu de la polychromie atténue la dureté de lévocation - dans une toile de 1974 (personnelle à la Galleria Trifalco, Rome) une benne-dragon sapprête à dévorer un mur, mais un premier plan de couleurs vives humanise la scène et dune certaine manière la rend anodine - la xylographie par sa chromie binaire, noir v. blanc en opposition, va décrire à lidentique, semble-t-il, non point tant lanecdote après tout secondaire, mais ce que de regrets, de chagrin peut-être, ressent le spectateur devant la dévastation dun lieu psychologiquement ancré dans son inventaire virtuel des objets aimés
Il ny a pas de double emploi, il ne sagit ni de paralipomènes ni de commentaires, mais dune autre perception et de la mise en forme éclairante dun même thème, qui assume une sienne autonomie tout en sintégrant à la totalité de luvre.
Lautre relation que la gravure révèle est celle avec les thèmes littéraires, et ce de très bonne heure chez notre artiste, quil sagisse dappels à T.S. Eliot (The Family reunion, 1963, linogravure) ou au Kafka du Procès (xylogravures, 1963 et 1973) et de La Métamorphose, uvres, avec dautres, que lon vient de redécouvrir à lexposition organisée par la revue Nunc (galerie La Hune, mai 2006). Cest un versant insuffisamment exploré par la critique.
A la confluence de traditions fortes mais qui ont su prendre en compte des filons extérieurs (on pense à ses contacts allemands des années 60) Birga nest pas seulement un représentant de ce que lon a appelé pittura colta, peinture cultivée ; nest pas seulement un figuratif pur ; nest pas seulement un peintre du réalisme magique, tout en étant cela, bien entendu ce qui le rend inclassable.
Transcendant alors les frontières pourtant reculées de la seule peinture " Birga ne dévoile pas seulement un mythe mais nous révèle à nous même non sans mélancolie les zones bleutées et ombreuses de notre propre irrécupérable avoir été " (personnelle, Institut Culturel Italien de Lille, 1994). |
Adrien Salmieri |
mis en ligne le 13/03/2007 |
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Dossier
Sergio Birga
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