La Plus grande baleine morte de Lombardie,
Aldo Nove, tr par M. Véron, Actes Sud. |
Aldo Nove na certainement pas posé les bases dun renouvellement conséquent de la littérature italienne. Son roman, paru dabord chez Einaudi, fait partie de cette étrange tendance consistant à traiter par-dessus la jambe les belles lettres tout en pensant sy frayer un chemin grâce à cet artifice. Voilà un stratagème vieux comme le monde. Mais voilà, ça ne fonctionne pas. Et cette histoire qui se déroule dans le fin fond de la Lombardie avec pour personnages principaux Enzo Tortora, Toni Negri, la Cicciolina, Superman et la baleine morte ne nous nous fournit pas une description assez profonde et burlesque de lItalie actuelle. Dans la foulée de la maigre révolte des Cannibales, déjà plus ou moins oubliés, Aldo Nove ne ma pas charmé. Loin sen faut. |
La Jeune mariée juive,
Luigi Guarnieri, tr. par Marguerite Pozzoli, Actes Sud. |
Luigi Guarnieri mavait profondément intéressé quand il a écrit La Double vie de Vermeer (Actes Sud). Et mieux encore. Cette fois, avec La Jeune mariée juive, cest la déception qui a remplacé lenthousiasme. Pourquoi donc ? Simplement parce que le passage continu dune époque à lautre (cest-à-dire de lépoque de Rembrandt à celle où le jeune narrateur lauteur en personne, sans aucun doute - passe un certain temps à Paris) ne fonctionne pas vraiment. Ou plutôt : il est difficile de sintéresser à lamour de Rebecca Lopez, une petite juive passionnée par lauteur de la Ronde de nuit, pour cet Italien peu plaisant qui pose à lécrivain, car tout cela paraît un pur prétexte à la mise en place du récit de la vie du docteur Paradies, ami du grand peintre. A la mort de ce dernier, le docte médecin entreprend de récupérer le portrait inachevé le représentant. Les destins de la famille dont est issue Rebecca, celui de lami de Rembrandt et celui de notre auteur en herbe sentrecroisent. Tout cela nest pas assez convaincant pour procurer une émotion aussi grande que celle procurée par son livre précédent. Jai même limpression dérangeante quil aurait été écrit bien avant Vermeer. Mais, tout de même, jai savouré quelques moments intenses et une fantaisie dans le récit qui est la marque dun écrivain digne de ce nom. |
En français dans le texte |
Le Roman français contemporain,
collectif, culturesfrance |
La littérature française ne change peut être pas (fondamentalement), mais la vision quon peut en avoir, oui. Cest en tout cas ce que prouve louvrage publié par Culturesfrance (ex-AFAA).
Bien sûr, il y a un essai consacré à nos écrivains connus et reconnus, sous une forme narrative, assez curieuse, parce que chacun est caractérisé par un trait distinctif (Echenoz, cest la mélancolie, Quignard, la persistance du roman envers et contre tout, Claude-Louis Combet, lobsession de la sainteté
). Voilà donc un panorama plus ou moins objectif traité de manière purement subjective, qui ne nous apprend pas grand chose en définitive. Quant aux « mutations du roman », le ton employé laisse pantois (« Lannée 1960 accouche dune décennie fleurie et, aux bras de la littérature, la politique semble laisser place à lidéologie. Cest le joyeux temps de Tel Quel, du structuralisme
»). Ne sauraiton rien imaginer de plus cavalier et de plus kitsch ? Mais cest un essai plutôt rassurant puisque lauteur peut affirmer de manière péremptoire : « François Salvaing nest pas un romancier : il est un enchanteur. » On peut en conclure quun romancier, par définition, nest pas un enchanteur. Soit. Dautres surprises nous attendent, en particulier la partie dédiée au roman populaire sujet épineux sil en est. La théorie est au rendez- vous : « Quest-ce quun roman populaire aujourdhui en France ? Un livre qui parle des classes populaires. Non ». Nous voilà rassurés
Pauvre France ! |
Autres seins,
Jean Guerreschi, Gallimard |
Quelle terrible déception ! Ces Autres seins de Jean Guerreschi ne tiennent pas une seconde la comparaison avec louvrage superbe de Ramón Gómez de la Serna qui, lui ; sintitule Seins. On ne peut même pas parler de pastiche. Ce sont des digressions égrenées sous forme de nouvelles, dans un style morne avec beaucoup de concessions aux tics de lépoque actuelle (cest un travers parfaitement détestable de lauteur). Quand on songe ne serait-ce quun instant, aux blasons du corps féminin, on en vient à se convaincre que la littérature française du temps présent file un mauvais coton en tout cas une certaine littérature. Je me rends compte, en lisant la bibliographie de lauteur quil avait commis un assez mauvais essai sur Kafka chez Marval en 1990 (en tout cas, pas aussi mauvais que les clichés qui laccompagnaient, mal imprimés de surcroît !) En somme, tout sexplique. Nayant rien lu dautre de lui, je ne peux donc rien ajouter. Sa Montée en première ligne (Gallimard, 1988) avait connu un grand succès. Sans doute faudrait-il plutôt se replier sur cette ligne-là ! |
Reverdy, Jean-Baptiste
Para, culturesfrance |
Jean-Baptise Para a composé une intéressante monographie consacrée à loeuvre de Pierre Reverdy. Il brosse un portrait plus un portrait littéraire que strictement biographique de cet homme venu de Carcassonne et qui arrive à Paris à lautomne 1910. Sa première déception passée, il entre en relation avec les hommes de lettres et les artistes de Montmartre. Il se lie entre autres avec Max Jacob, avec lequel il se brouille en 1915 : le poète laccuse de plagiat. Reverdy va encore se brouiller avec les surréalistes et avec Vincente Huidobro, avec qui il a fondé le Créationnisme (au passage, je note que Para a fait lui aussi limpasse sur ce grand écrivain chilien). Mais son étude sur loeuvre de Reverdy est aussi passionnante que pertinente, faisant de cet ouvrage un excellent moyen de le découvrir. |
Pays de René Char,
Marie-Claude Char, Flammarion
René Char,
Eric Marty, «monographie/Points»
René Char,
Laurent Greilsamer & Paul Veyne, culturesfrance.
René Char,
Collectif, BNF/Gallimard. |
Je nai pas besoin dinsister sur la question : René Char est devenu lobjet dun véritable culte en France, dun culte quasiment mystique. On ne critique pas Char, on le vénère. Lalbum de Marie-Claude Char se place dans cette optique en une période de célébration. Char calligraphiait ses manuscrits en pensant quun jour quils seront placés sous vitrine à la Bibliothèque nationale. Voilà qui est fait. En tout cas, ce livre rassemble un grand nombre de documents : des fac-similés des manuscrits, de dessins, des photographies (cela va de la Résistance aux portraits damis de Pasternak à Eluard, de Scutenaire à Breton), de portraits signés par Valentine Hugo, Victor Brauner ou Man Ray et aussi des photos de famille. Voilà de quoi alimenter cette nouvelle religion monomaniaque qui veut que la poésie soit pure, nouvelle, désincarnée et sublimissime. Eric Marty, dans la foulée de ces commémorations sans fin, a publié une monographie qui mérite lattention. Sans doute sest-il lui aussi laissé piéger par la « ligne hermétique » et lidée de nuit dans les poèmes du grand homme (il a recours aussi bien aux mystiques chrétiens et puis à Heidegger pour faire bonne mesure). Mais il nen reste pas moins que cest une excellente étude, qui explore cet univers dans tous ses recoins. Mais attention : pour les âmes convaincues davance exclusivement. Parmi les innombrables exercices dadmiration qui entourent la célébration du poète, il faut relever celui de Laurent Greilsamer et de Paul Veyne. Rien ne nous est épargné : le Poête qui rêve en marchant et qui marche en rêvant lobsession de lécriture, et jen passe. On peut lire cette perle : « Char avait vite compris la nature du nazisme parce quil était de ceux qui ont un idéal plus poétique, religieux ou éthique, que strictement politique ». Evidemment, sil avait eu lâme politique, alors
Enfin, le lecteur se consolera en consultant lexcellent catalogue de la Bibliothèque Nationale, bien conçu et bien documenté. |
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