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Dossier Franta
Du fond de la nuit, témoigner de la splendeur du jour |
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Par Jean-Luc Chalumeau |
Loeuvre de Franta évolue entre deux pôles: la vie, dune part, avec par exemple lemblématique Maternité de 1999, et la mort, dautre part, avec la non moins significative grande composition aujourdhui au Musée de Nagoya (Japon) Pour le souvenir - Témoin (1994) qui évoque des charniers. Franta, témoin direct des principaux drames du XXe siècle, me semble avoir conduit sa quête picturale non loin de la méditation dune Hannah Arendt constatant que le IIIe Reich détestait lhumanité en général et lapparition dun enfant en particulier, puisque lhumanité était selon lui viciée à la racine et que, le peuple juif en étant la cause, il importait den programmer la disparition pour régénérer lespèce humaine. Contre tous les responsables des charniers de notre temps, Franta, comme Arendt, affirme que la seule réponse à leur opposer réside dans la vie dun enfant et donc dans sa naissance. « Chaque fin dans lHistoire contient un nouveau commencement» écrivait la philosophe allemande en écho à saint Augustin («lhomme a été créé pour quil y ait un commencement »), en ajoutant que «ce commencement est garanti par chaque nouvelle naissance. Il est en vérité dans chaque homme.»
Cette idée est métaphoriquement inscrite dans chaque tableau de Franta en tant quil est animé par le jaillissement de la peinture, cest à dire par la vie de la création. Lexpressionnisme de Franta manifeste ainsi la présence de la vie, même dans les oeuvres dont le sujet apparent est la mort. La Maternité triomphe des charniers: la peinture de Franta ne cesse jamais dêtre un commencement quil faut étudier.
Mais, avant toutes choses, il nest peut-être pas inutile de préciser quelle fut lorigine de ma relation à loeuvre de Franta. En janvier 1974, dans le même numéro (1) de la revue Opus International, Pierre Gaudibert publiait un article sur Franta, et moi-même un autre sur Velickovic. Gaudibert écrivait de lartiste tchèque : «Franta poursuit une des démarches les plus significatives des arts plastiques dans le milieu du XXe siècle: celle de lanonymat organique opposé à la tradition du portrait de lindividualité humaine.» Et, comme en écho, on trouvait dans mon texte la question suivante à propos du peintre yougoslave: «Et si aujourdhui, comme réalité épaisse et première, comme objet difficile et sujet souverain de toute connaissance, lhomme était en train de disparaître?» Cétait une coïncidence, et sans doute davantage: une convergence danalyses par deux auteurs (qui ne sétaient nullement concertés) à propos de la peinture dartistes de la Nouvelle figuration, tous deux porteurs de questionnements plastiques fondamentaux sur ce quil en était de la condition humaine.
On devine que Franta et moi avons aussitôt cherché à faire connaissance. Notre première rencontre eut lieu quelques semaines plus tard, et voici donc maintenant un tiers de siècle que jobserve loeuvre de Franta, que je ladmire et que je cherche à la comprendre. Nous sommes parvenus à lheure des bilans et des rétrospectives, et il me semble que les commentateurs de la peinture de Franta qui se sont succédés depuis plus de trente ans ont peut être un peu trop souvent proposé de simples variantes sur le thème si bien défini, dès le départ, par Gaudibert: «Cest toujours le même dialogue dune bouillie sanguinolente et quasi viscérale avec une rigidité agressive. Cette défaite de lhomme crie une souffrance infinie, sans recours, rachat, ni justification
», variantes certes quelque peu corrigées par le constat de la mutation qui sest opérée à partir du début des années 80, quand, justement à linitiative de Pierre Gaudibert, Franta a découvert lAfrique, ses déserts et ses peuples ayant conservé une sorte de pureté originelle. «Jai dû réapprendre à voir et regarder le monde extérieur, a-t-il dit à propos des premières expériences africaines» (2). Il nempêche: si Franta est bien un profond témoin de son temps ce nest pas un hasard si je lai placé dentrée de jeu aux côtés dHannah Arendt , il est aussi et surtout un peintre, un peintre trop peu analysé en tant que tel, dont loeuvre dans son extension sur plus de quatre décennies est maintenant assez riche, variée et aboutie pour justifier une approche principalement esthétique.
Il y a bien une profondeur de lobjet esthétique chez Franta, cette «peinture du commencement», qui établit des relations spécifiques avec celui qui le perçoit. Ce sont cet objet et ces relations que je me propose daborder en trois temps : Il y a un sens immanent au langage plastique de Franta. Loeuvre de Franta implique une participation de celui qui la perçoit. Sens immanent et participation sont les clefs de la profondeur esthétique chez Franta.
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LE SENS IMMANENT
Je suis, par exemple, devant un grand diptyque de Franta datant de 1982, une encre de Chine sur papier marouflé intitulée Adam et Ève. Loeuvre est importante du point de vue biographique : elle marque une nouvelle phase dans loeuvre du peintre, qui semblait jusque là voué aux chairs suppliciées, piégées dans dimplacables structures technologiques. Les figures se redresseraient et sépanouiraient parce que Franta vient de trouver en Afrique des motifs de se réconcilier avec lhumanité. Je sais cela, mais ce nest pas lessentiel.
Adam et Êve est pour moi un objet esthétique, et cest en tant que tel quil sollicite ma réflexion. Il la sollicite dautant plus fortement que je le ressens comme fait pour moi : il constitue un signe par lequel Franta veut me dire quelque chose. Or ce signe nest jamais simple : sil me comble par lévidence de sa présence, il fait aussi problème. Il y a certes là représentation : en loccurrence, deux nus, lun masculin et lautre féminin, dont certains éléments des visages indiquent la race noire, mais qui mapparaissent néanmoins dune éclatante blancheur sur fond sombre et non le contraire selon la logique. Il y a évidemment matière à réflexions : dabord sur la structure de lobjet esthétique, ensuite sur le sens de lobjet représenté. La technique picturale est une chose, latmosphère suggérée en est une autre. Cette méditation en deux temps, appelons là réflexion critique: par elle, lobjet comme réalité perçue va séclairer pour moi et cesser dapparaître comme une totalité plus ou moins confuse ou contradictoire dans laquelle je risque de me perdre.
La technique picturale: elle a été suggérée à Franta par le fait que ces corps, observés dans leur milieu une végétation tropicale lui sont apparus comme «des corps-lumières par les reflets échappés des trous de la végétation qui se réfléchissaient sur leur peau noire». Doù lidée de ces formes lumineuses pour la femme surtout, la lumière émanant du corps déborde ses limites et comme aériennes (le sol nest pas représenté, non plus que les pieds des figures) dans un espace sans profondeur autre que picturale.
Latmosphère suggérée: il est possible que la réalité du peuple Masaï soit à lorigine de loeuvre (quoique rien dans cette dernière ne lindique précisément), mais peu importe. Quils soient Masaï ou Dogon, ces corps fiers, qui soffrent au regard sans ostentation ni provocation, suggèrent un univers où la «beauté» nest pas un concept, mais une donnée du quotidien. Chez ces peuples en effet, la beauté nest pas lobjet dune contemplation. Elle est, comme pour les indiens Embera aimés de Jean-Marie Gustave Le Clezio, «une activité, un moment, un désir
»
Devant moi, la peinture de Franta se fait activité, moment, désir. Voici des corps qui participent totalement de la nature qui les environne, alors même que cette nature nest pas directement représentée. Je comprends alors que lart de Franta fait de la nature le corps de la peinture : le sens, ici, est immanent au signe, et lanalyse du signe ma directement conduit au sens. Dans la peinture de Franta, le sens est vraiment immanent au langage esthétique : dans sa simple façon de répartir à larges coups de brosse ou de pinceau lombre et la lumière, je retrouve la caractéristique des plus grands artistes (ne peut-on pas dire que les coups de pinceau de Van Gogh disent déjà quelque chose du message de loeuvre?).
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mis en ligne le 30/07/2007 |
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Franta
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