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Dossier Ivan Messac
Entretien avec Ivan Messac (suite)
Dossier Ivan Messac : Entretien avec Ivan Messac par Franck Mallet

Ce serait de fausses sculptures, puisqu’elles sont en carton ?

Ivan Messac, Monsieur Lustucru, 2004. 65 x 54 x 4 cm.Disons qu’elles sont trompeuses. On les a dites fausses ces sculptures… Deux questions se superposent. L’une d’ordre général : qu’est-ce qu’une sculpture en tant que catégorie ? Existe-t-il une vraie peinture, un vrai dessin, gravure, dessin, vidéo, etc ? Une installation doit-elle se ranger dans la catégorie sculpture ? Ou encore, les objets fabriqués par l’homme sont-ils des Ready-mades ? Reste que la sculpture existe, la peinture aussi, la gravure, la vidéo, etc. L’art a beau être global, des catégories subsistent effectivement. Peut-on en conclure que tous les objets organisés dans l’espace sont des sculptures ? D’où la seconde question : avons-nous à faire à une sculpture ? Définitivement oui, mais peut-on se fier à la parole de l’auteur ? Est-ce que tailler ou modeler participe de la même conception de la sculpture ? Est-ce que, construire en carton et donner l’apparence d’autres matériaux…
Je dois reconnaître que les sculpteurs, à l’exception de Daniel Pontoreau, ne m’ont pas reconnu d’emblée comme l’un des leurs. Quant aux autres artistes, pouvaient-ils assimiler mes propositions à de la peinture ? Côté collectionneurs, ce n’était pas toujours très évident. L’un d’eux, qui n’est pas des moins fidèles, a renoncé à l’achat d’une de mes pièces en carton car pour lui la sculpture était associée à la notion de pérennité, difficilement applicable à ce matériau. En général, la sculpture en carton n’est pas tellement prise au sérieux. Parfois, elle l’est trop : je me souviens avoir montré des photos de ces sculptures à un galeriste au Canada. Je sentais qu’il appréciait poliment, mais sans plus. Lorsque je lui révélai qu’elles étaient faites de carton, son regard changea du tout au tout. Là, ça l’intéressait. L’illusion de la matière devenait soudainement un argument positif. Et c’est bien pourquoi je lui avais parlé de ce que les photos ne laissaient pas voir. Tout le charme était là. Un peu comme dans l’érotisme, où ce sont les mots que nous associons aux images qui provoquent notre désir.


À l’origine de la sculpture, on trouve le dessin…

Bas relief, acrylique sur polystyrène et toile.Le dessin, c’est une façon de désirer la chose avant de la posséder. Il y a deux types de dessins. Celui qui s’apparente au projet de la sculpture, avec des formes dessinées dans l’espace, comme une pré-représentation de l’objet. Parfois ce dessin est très élaboré et même rehaussé à l’aquarelle. En effet, ne sachant pas si je réaliserai chacune de mes esquisses, ne serait-ce que par manque de temps, je voulais les pré-voir le plus précisément possible. Donc, pour quelques-unes, le dessin est très abouti, pour d’autres il est resté à l’état d’esquisse. L’important étant de fixer sur le papier une idée. Mais il est bon parfois de jauger la forme, de l’envisager sous d’autres points de vue, d’en voir les développements possibles. Le dessin sert donc à tester la future sculpture, à voir comment la forme initialement pensée pourrait se décliner. D’autre part je ne devais pas perdre de vue que les formes imaginées allaient être construites à partir de feuilles de carton. C’est donc un peu avant de les réaliser que je faisais un second dessin sur papier kraft, une sorte de plan à l’échelle 1, qui serait par la suite reporté sur les feuilles de carton. Cette nouvelle phase me permettait de redessiner la forme, de la compléter, de la parachever. Mais ces deux dessins ne définissaient pas définitivement la forme. Au moment de la fabrication et de l’ajustement des différents composants, des modifications, dues aux renflements des surfaces courbées, apparaissaient. En construisant la sculpture, j’exécutais les torsions indiquées par le dessin et les dimensions s’en trouvaient modifiées. Alors je devais moduler une dernière fois la forme de chaque élément en le redessinant dans l’espace. En résumé, il y avait trois phases de dessin : projet, plan et exécution.


Ces sculptures sont déterminées par le chiffre 3. Elles sont « délimitées » par trois matières bien distinctes : métal/acier, marbre/pierre et bois/cuir/peau…

Dès mes premiers tableaux, le chiffre 3 semble occuper une place importante. Il s’agit alors du fait que je n’utilise que trois couleurs par oeuvre. Puis à l’occasion des lectures que m’inspire la série des Indiens (1971/72), je découvre le langage des signes dans lequel un objet vaut pour lui-même, deux pour deux, mais trois vaut aussi bien pour trois que pour un groupe plus étendu. Trois arbres peuvent signifier une forêt, et trois personnages une famille sans en préciser le nombre d’enfants. Un peu comme pour les impôts en France, l’enfant ne vaut qu’une demi-part. Donc, trois vaut pour deux et demi. Mais l’on voit bien que ce troisième élément est celui qui constitue le potentiel du groupe. Pour simplifier, et de manière symbolique, j’ai choisi trois éléments pour signifier tout un univers. D’autre part, cela m’arrangeait de penser que j’associais les trois matériaux traditionnels de la sculpture : métal, pierre et bois.


Une idée forte se dégage de cette sculpture, c’est le mouvement, ou l’illusion d’une certaine tension, symbolisée par l’arc, la poulie, l’hélice…

Ivan Messac, Sculpture carton, 1986. 110 x 240 x 70 cm, collection du FNAC. _ Ivan Messac, Carciofo morbido, 2002. 97 x 25 x 30 cm. Tissu.J’ai du mal à répondre… Néanmoins, la conception du mouvement me renvoie aux conceptions futuristes apparues au début du XX ème siècle. Il est vrai qu’elles m’ont intéressé à plus d’un titre. Notamment, comme artiste issu des événements de 1968. À ce propos, je crois que les artistes s’illusionnent beaucoup sur le parallèle qui pourrait exister entre leur désir d’un monde merveilleux, poétique et harmonieux – où l’art aurait une place primordiale – et les changements qui révolutionneraient les sociétés. Du coup, ils s’imaginent que ces bouleversements ont à voir avec ce à quoi ils aspirent. Si fait qu’ils adhèrent sincèrement à des idées non par bêtise, mais par aveuglement, générosité et enthousiasme. Du côté russe, Rodtchenko s’est peut-être laissé trop embarquer. D’autres en sont morts (Meyerhold, Maïakovski), ou se sont cloîtrés dans une attitude ambiguë, comme Chostakovitch – qui a résisté à sa manière. En Italie, l’attitude a été identique avec ce besoin de balayer un art ancien, véhiculant les valeurs de l’Antiquité et de la Renaissance. Mais de nombreux futuristes sont morts durant la 1ère guerre mondiale, avant l’arrivée de Mussolini au pouvoir.


Le Futurisme, avant tout pour sa valeur esthétique ?

Oui, pour la richesse plastique de ses productions ; oui aussi à sa volonté de tout changer y compris la cuisine ; oui encore pour ses inventions comme le bruitisme de Russolo. Mais on a parfois mal interprété mon intérêt pour le Futurisme. Tout comme cela s’est produit lorsque je me suis intéressé aux panneaux électoraux. Il s’agissait pour moi de les considérer comme des lieux de représentation, au même titre que des tableaux, et non comme les véhicules d’un quelconque message politique. Je souhaitais montrer, en quelque sorte, un Musée dans la rue. Je ne cherchais nullement à faire une peinture de propagande, je tentais par la voie de la peinture de questionner le lieu de l’absence qu’est toujours la représentation en lui opposant l’acte de peindre qui est la présence même.

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Franck Mallet
mis en ligne le 01/03/2006
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