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Dossier Ivan Messac
Entretien avec Ivan Messac (suite) |
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Le Futurisme a-t-il été une clé pour saisir le mouvement ?
En me frottant à ces idées, jai pris conscience de ses valeurs esthétiques. Au-delà des théories de Boccioni, jai réalisé quun poids pouvait agir sur un levier (5). Jai surtout imaginé que les éléments que jassemblais exerçaient des forces les uns sur les autres, que la force de lun infléchissait la forme de lautre, que la sculpture était la forme résultante des résistances et des quantités de matières en présence. Mais pour les Futuristes, le monde nest pas quune machinerie, lhomme y agit ne serait-ce quen sy déplaçant plus ou moins vite. Et son action en modifie la perception. De le voir différemment, le monde en est-il changé ? Néanmoins, le Futurisme appelle lhomme à se mouvoir, à renoncer à la position ethno-statique de la perspective. Cest ce que jai tenté à ma manière avec les roues de loteries, puis le passage à la troisième dimension.
On trouve une mécanique du mouvement
Oui, dans la mesure ou les mouvements sarticulent les uns aux autres. La sculpture est cet état déquilibre dans lequel on surprend les formes. Il ny a pas de rupture, il y a eu probablement un mouvement, avant
Mais nous nen savons rien. Tout va bien. Chaque élément a laissé une place à lautre. Il me semble que les dessins témoignent assez bien de cet état précaire, dun devenir possible de la forme.
Mais ça ne se passe pas si bien : une tension apparaît?
Bien sûr, jy perçois une résistance. On trouve des éléments entravés par dautres. Du coup, ça pousse dun côté et de lautre, la forme sadapte mais avec élégance. Dans la vie non plus, rien ne se passe sans tension.
On touche ici lun des paradoxes de cette sculpture, rigoureuse sur un plan conceptuel, mais expressive dans son mouvement. Elle nous renvoie ainsi à larchitecture
Il est curieux de constater que ce nest que quelques années après avoir commencé ces sculptures que je suis devenu enseignant dans une école darchitecture. Il est certain que le vocabulaire de la forme dans larchitecture ma influencé : chapiteaux, colonnes, arches, voûtes
Mais aussi le corps par léchelle quil impose aux éléments de lespace autant que par les formes que produisent les positions quil adopte. Mes sources formelles sont aussi du côté de la géométrie (cube, sphère et leurs dérivés) et de celui de la forme abstraite et molle de type « arpien», tel los usé et arrondi par lérosion. Ce qui fait la rigueur de ces oeuvres nest autre que leur mode de construction qui se rapproche de celui des navires en bois. La sculpture est nervurée. Puis les nervures sont assemblées sur un arbre transversal, un tube de carton. Au final, rien ne sera plus visible de cette structure porteuse. Il faut être un peu ingénieur ou ingénieux pour réussir de telles opérations, mais javoue avoir toujours eu une passion pour la géométrie et ce que lon appelait autrefois : les leçons de chose.
Vous évoquer la forme chez Jean Arp; le mouvement Dada serait-il présent dans votre sculpture ?
Dada est sans forme, on peut donc lui attribuer beaucoup de choses, on peut y ranger ce que lon veut
De dadaïsme, je qualifierais peut-être le jeu dapesanteur de mes sculptures
Le côté trompe-loeil. Trompe-loeil, trompe-lesprit : cest une formule qui revenait souvent à leur sujet
Moi-même, jai pris part à ce divertissement. La virtuosité de la tromperie stimule le spectateur, et le créateur. Et fort heureusement cest le plus souvent sur un malentendu quon se comprend. Là où je ne suis pas dadaïste, cest que je sépare lart et la vie, même si ma vie
Jespère que vous êtes du champ pour champ daccord avec moi!
Le groupe de trois Toutes leur vitesse à elles suggère un parti pris surréaliste
Cest un titre trouvé par terre : voilà un clin doeil au Surréalisme. Mais le Surréalisme est partout, nous en sommes imprégnés. Je trouve un titre en posant une sculpture dans un pré, à côté de Nantes. Cétait un bout de papier déchiré sur lequel étaient tracés des mots qui ne pouvaient se lire quà la verticale et cela donnait : Toutes leur vitesse à elles. Je lai interprété en imaginant que cela signifiait : elles ont toutes leur vitesse à elles, cest-à-dire que chacune a son rythme à soi, mais que lensemble crée un tout qui avance en même temps
Je lassociais à limage de trois femmes africaines qui, portant des objets sur leurs têtes, passent enturbannées dans leur boubou. Chacune, autonome, avec son déhanchement particulier et son rythme interne, mais, en même temps, toutes reliées avec cette impression dune colonne harmonieuse. À partir de cette idée, jai fait trois sculptures composées de trois éléments quasi identiques. Chacune est composée dune colonne torse de section carrée, dun récipient qui sapparente à un vase ou à une amphore, et dun élément plus souple reliant les deux autres sans quon puisse lassocier à lidée dun bras ou dun quelconque élément anatomique. Aucune des colonnes na la même taille, aucun récipient nest rigoureusement identique et le lien de chacune des trois est également différent. Donc, impossible de les intervertir ou de les confondre. En revanche, la couleur de chaque élément « tourne » dans les trois sculptures. Le bleu dune première colonne est confronté au marron rouge de la seconde et au jaune de la troisième. Idem pour les couleurs des deux autres éléments : récipient et lien. Jaime lidée de donner limpression que ces éléments soient interchangeables, alors quil nen est rien. Question didentité !
Limposant volume des sculptures ne donne jamais une sensation dépaisseur et de poids
En particulier pour la série dite du Géomètre amoureux. Jai utilisé de la pâte à papier, du carton et du papier kraft. Aucun élément peint. Rien que du vrai carton ou du vrai papier
Mais les sculptures avaient lair encore plus vrai que nature. Non pas de la nature du carton ou du papier, mais des éléments naturels de la sculpture : pierre et bois. Donc, échec ou réussite ? Moi, ça me plaisait bien, en tout cas
Vrais ou faux, les matériaux semblaient lourds pour les uns, frêles pour les autres, assemblés entre eux suivant un équilibre fragile. Doù le titre. Un géomètre, cest précis, organisé. Il ne fait pas derreur. Malgré tout, il est amoureux et fait des choses plus fantaisistes : la pierre na plus son poids supposé et on se demande comment elle arrive à tenir
Ensuite, jai fait une série dont le titre était Miroir à deux faces, où intervient un grand panneau, comme sil était en acier Cor Ten. Jétais donc revenu à lidée dun tableau, sans quon le sache ! Les sculptures avaient des allures dimmenses chevalets supportant des plaques métalliques: des surfaces sur lesquelles apparaissaient dhypothétiques phénomènes de rouille un retour à la peinture. Il est vrai que jai abordé la sculpture en passant par le chromatisme, y compris lorsque jai physiquement travaillé le marbre : par exemple dans le projet Aronta, destiné à Carrare (Italie), où un immense écran bleu entoure la sculpture (6). Il y a eu, après la sculpture en carton, la série des Ex-voto, en carton ciré, puis des sculptures en tissus de couleur, puis des assemblages de bois et marbre, de bronze et de papier
Entre temps, la couleur était déjà présente dans des sculptures en marbre rouge de Vérone. Si lon considère que Rimbaud était resté poète à Aden, alors on peut effectivement se demander si je ne suis pas resté peintre à Carrare. Mais ce qui est sûr, cest que jen suis revenu sur mes deux jambes.
(5) Peintre, sculpteur, Umberto Boccioni (1882-1916) a participé à plusieurs manifestes futuristes. En 1912, il signe le Manifeste technique de la sculpture futuriste, où il prône le déclin du marbre et du bronze, trop nobles, au profit de nouveaux matériaux: vitre, bois, fer, ciment, carton, tissu, cuir, miroir, lumière électrique. Labandon de la représentation à lantique vise à une reproduction abstraite du sujet à travers des plans en bois, des sphères en métal, des cercles, du fil de fer, des grilles. Il sagit de sauvegarder les formes, non la valeur figurative du sujet.
(6) Aronta, projet. Cf. Sculpture pour Aronta, texte de Michel Enrici et photos dAndré Morain. Musée de Sens, 1998.
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Franck Mallet |
mis en ligne le 01/03/2006 |
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Dossier Ivan Messac
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