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[verso-hebdo]
21-04-2011
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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La peinture à proprement parler |
Il arrive que des livres de qualité passent presque inaperçus, surtout lorsqu’ils proposent de réfléchir à la peinture. Je crains que ce soit le cas du remarquable De la peinture à proprement parler par Maurice Benhamou, paru au début de l’année chez L’Harmattan : ce serait dommage. On connaît ce poète, remarqué dès 1952 par Gaston Bachelard, qui publia en compagnie de René Char et qui évoqua son parcours littéraire dans un roman paru en 2004 : La Trace du vent. La complicité de Benhamou avec les peintres de haute exigence, au premier rang desquels Jean Degottex, dont il sait lumineusement situer la démarche, est évidente : « Vers l’époque où Derrida, dans Glas, fait travailler des textes de Genet, de Hegel ou de Nietzsche en se contentant de confronter la matière de leur écriture, Degottex fait travailler ensemble des matériaux différents dans le respect scrupuleux de leur nature. (Quelle proximité entre l’œuvre derridienne et celle de Degottex à laquelle les concepts de déconstruction, de ’différence’ ou de dissémination conviennent si bien !) » Mais on connaît sans doute moins le critique d’art que le poète.
Un critique d’art qui sait bien qu’il est dangereux aujourd’hui de vouloir parler peinture à un confrère (« Ah, parce que ça existe encore, la barbouille ? » lui a dit un « critique en vogue » auprès de qui il avait tenté l’expérience. Maurice Benhamou n’est dupe de rien, et surtout il n’appartient pas du tout au cercle aigri de ceux qui ne veulent regarder QUE la peinture (je rappelle ici une remarque de Nicolas Bourriaud que j’aime citer : il y a deux sortes d’imbéciles, ceux qui n’aiment pas la peinture et ceux qui n’aiment que la peinture…). L’auteur précise donc bien, p. 89, qu’il ne nie pas les réussites des vidéos, performances, installations ou photographies, en précisant toutefois que c’est « surtout quand ces pratiques prolongent ou servent un travail de peintre ». Ces observations sont préliminaire à des analyses sensibles de la peinture d’Anne Slacik, dont la « véritable naïveté se trouve au point d’aboutissement de tous les savoirs, de toutes les expériences. Cette naïveté de la peinture, chez Anne Slacik, possède une gravité et une vigueur prometteuses... » Ce que Benhamou cherche dans la peinture ? Il l’a trouvé précisément chez Anne Slacik : « Une peinture exprimant ce qui ne peut s’exprimer que par la peinture, par la matière de peinture, par le mouvement de la matière de peinture. »
On comprend dès lors l’admiration vouée par l’auteur à Martin Barré, par exemple, dont un tableau illustre la couverture, mais à qui n’est consacré qu’un développement paradoxalement court, peut-être parce que l’œuvre de Barré « ne progresse que négativement. Il efface tout, ponce avec minutie puis à nouveau regarde ». La faculté de compréhension de Maurice Benhamou est là : il sait que le critique ne saurait être bavard là où le peintre impose le silence. Cela me rappelle ma visite à Martin Barré, peu avant sa mort intervenue en 1993, dans son petit appartement de la rue Dauphine qui lui servait d’atelier. Il nous avait servi un calva, que nous avions bu en regardant les tableaux silencieusement : l’artiste avait pris la précaution de me préciser que ces œuvres étaient inachevées. Manière de dire que quelque chose de grave se jouait là, qu’il aurait été présomptueux de vouloir commenter. C’est ce que Benhamou a su magnifiquement traduire : « Peut-être aussi, la peinture, en exhibant son caractère inachevé, révélait-elle l’inéluctable échec, la folie suicidaire de vouloir reproduire de la vie. Et en cela, paradoxalement manifestait la vitalité de la peinture elle-même. » On referme le livre avec le désir de remercier l’auteur : il est devenu si rare de rencontrer quelqu’un sachant distinguer la peinture de ce qui n’en est pas : la peinture à proprement parler en somme.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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