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[verso-hebdo]
12-05-2011
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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L’affaire Andres Serrano |
La polémique autour d’une photographie d’Andres Serrano intitulée Immersion Piss Christ est particulièrement révélatrice de certains aspects de l’art contemporain. Rappelons brièvement les faits : à l’issue de la messe des Rameaux, des jeunes gens à lunettes noires, armés de marteaux et tournevis, sont entrés dans l’hôtel de Caumont à Avignon, où la Fondation Yvon Lambert présentait une exposition bizarrement titrée « Je crois aux miracles », et ont notamment tenté de détruire l’œuvre de Serrano (qui date des années 80) tout en molestant un gardien. Ce commando a réagi avec quelque vivacité à la stratégie habituelle de Serrano, partagée avec d’autres vedettes de l’art contemporain tels Damien Hirst et Maurizio Cattelan : provoquer, provoquer encore et provoquer toujours avec la complicité de marchands comme Yvon Lambert. La provocation apparaît d’autant plus efficace, sur le plan médiatique et commercial, que c’est à la religion catholique que l’on s’attaque : Hirst cloue des squelettes sur des croix en plexiglas, Cattelan écrase Jean-Paul II sous une météorite, et l’on se souvient de l’exposition Shit de Serrano en 2008 dans les galeries new-yorkaise et parisienne d’Yvon Lambert. Des merdes donc, dont l’une était fièrement dite « Holy Shit » (merde sainte) par l’artiste parce qu’elle aurait eu pour origine le système digestif d’un prêtre…
Comme d’habitude, l’affaire d’Avignon a opposé les bonnes âmes scandalisées par le blasphème et les défenseurs patentés de la « liberté de création ». Ici, deux remarques : la première est formulée par John Berger dans un article du Monde le 27 avril soulignant que ce n’est pas l’image qui est blasphématoire mais bien son titre : « Pour des millions de personnes qui vivent en dehors du ministère de l’Eglise, le Christ est perçu comme un guide, comme le révélateur d’un monde possible. Il est porteur d’espoir et de piété. C’est cette foi, et non les symboles ou édits ecclésiatiques, qui mérite d’être considérée comme sacrée et, partant, de ne pas être la cible d’insultes gratuites. Les mots « Piss Christ » (et non l’image) équivalent à une telle insulte. » Deuxième remarque, faite par Fabrice Hadjadj dans un excellent article du Figaro du 20 avril : le crucifix plongé dans l’urine et le sang par Serrano n’est qu’un crucifix de pacotille, « relevant de ce double blasphème qu’est le genre saint-sulpicien made in China ». Déjà, en 1919, Paul Claudel n’avait pas de mots assez durs pour condamner le pseudo art sacré de son temps, où il ne voyait que « faiblesse, indigence, timidité de la foi et du sentiment, sécheresse du cœur, dégoût du surnaturel, domination des conventions et des formules (…) avarice, jactance, maussaderie, pharisaïsme, bouffissure... » J’imagine qu’il se serait réjoui de voir un exemple de l’art qu’il détestait plongé dans le pipi.
Provocateur assez hypocrite (affirmant après le scandale qu’il est lui-même chrétien et qu’il n’a « aucune sympathie pour le blasphème »), Serrano n’en a pas moins réalisé une œuvre qui devrait nous intéresser, car, que ce médiocre Christ, trempé dans l’urine et moyennant l’éclairage adéquat, remarque Hadjadj, puisse « nous apparaître avec une telle splendeur ombreuse, voilà qui devrait provoquer l’émerveillement. Et un émerveillement profondément chrétien, parce que lié à ce qui fait l’essence même du christianisme. » Comprenons que le christianisme n’est pas un spiritualisme, mais une spiritualité de l’Incarnation. « Le Verbe s’est fait chair : cela veut dire, par voie de conséquence, insiste Fabrice Hadjadj dans son style inimitable, que le Messie a une vessie, que le Fils de Dieu lui-même a uriné... » Voilà pour Mgr Cattenoz, évêque d’Avignon, qui a qualifié l’œuvre d’ordure. Voilà pour ceux qui rejettent en bloc l’art contemporain sans vouloir essayer de comprendre. Mais l’attitude de ceux qui acceptent systématiquement et glorifient tout ce qui porte l’étiquette « art contemporain » n’est pas meilleure : l’ouverture à tout vent interdit l’hospitalité véritable écrit Fabrice Hadjadj qui rappelle par ailleurs aux démolisseurs d’Avignon que l’accusation de blasphème est « précisément celle dont on s’est servi pour condamner Jésus à mort : c’est une tendance pharisaïque à se poser en grand prêtre omniscient. » Allons ! Cette nouvelle péripétie dans la bataille de l’art contemporain devrait inciter les militants des deux camps à un peu de réflexion (on peut rêver). De toute façon, disait le Père Couturier au début du siècle dernier, « à ne pas participer à l’art de son temps, on se retire de la vie. »
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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