Bonnes feuilles
Jean-Luc Chalumeau publie ces jours-ci un nouveau livre, COMPRENDRE L’ART CONTEMPORAIN (éditions du Chêne), dont nous publions l’introduction en bonnes feuilles

Qu’est-ce que l’art contemporain ?

Quand on parle d’ « art contemporain » il faut répondre à la double question de la date (quand commence-t-il ?) et de sa définition  (qu’est-ce qui en est ou n’en est pas ?).
Sur le premier point, on peut se rallier au choix du Musée National d’Art Moderne-Centre Pompidou qui, pour classer ses collections riches d’œuvres à la fois « modernes » et « contemporaines », fixe la date charnière à 1945. Avant la guerre se situent les modernes, après la guerre commencerait l’âge « contemporain », à une importante réserve près. En effet, sur le deuxième point, il faut bien comprendre que, selon notamment Georges Dickie ou la sociologue Nathalie Heinich, l’œuvre d’art « contemporaine » peut être n’importe quel artefact que « le monde de l’art » (musées, galeries, commissaires, collectionneurs, critiques…) aura décidé de nommer ainsi. Donc tout ce qui est actuel n’est pas forcément « contemporain » dans le sens acquis par ce mot vers la fin des années 70. C’est un fait qui mérite discussion, et l’on comprend la fureur de ceux qui détestent « l’art contemporain » dans l’acception de Dickie, par exemple Alain Paucard, dans son petit pamphlet intitulé Manuel de résistance à l’art contemporain (Jean-Cyrille Godefroid, 2009), qui écrit drôlement que « le terme « contemporain » appliqué uniquement aux post-dadaïstes, est discriminatoire et tombe sous le coup de la loi ». Sur ces questions, je me permets de renvoyer à mon Histoire de l’art contemporain (Klincksieck, 2005).
Ajoutons que les frontières entre artistes « modernes » et « contemporains » sont poreuses, certains pouvant appartenir à l’une et l’autre catégorie à la fois. C’est ainsi que des noms aussi considérables que ceux de Pollock, Rothko, Newman, Yves Klein, Lichtenstein, Beuys ou Baselitz ne figurent pas dans le présent ouvrage car ils ont été traités par Françoise Barbe-Gall dans son Comprendre l’art moderne (Chêne, même collection) auquel le lecteur est invité à se reporter.
Revenons-en maintenant à une question lancinante dès lors qu’il est question d’art contemporain : comment se fait-il qu’un urinoir soit devenu l’œuvre paradigmatique de l’art du XXe siècle ?

Marcel Duchamp, celui par qui tout est arrivé

En 1912, Marcel Duchamp est un jeune peintre de 25 ans obsédé par la gloire de Picasso. Il est officiellement « cubiste » avec ses amis et frères du « Groupe de Puteaux », comme en témoigne sa Mariée, appréciée de ces derniers qui attendent ce tableau pour leur salle du Salon des Indépendants. Mais Duchamp leur apporte un autre tableau, peint la même année 1912, Nu descendant un escalier n°2. Consternation du groupe : ce n’est pas du cubisme, mais une intégration du cubisme au futurisme et aux recherches « chronophotographiques » d’Etienne-Jules Marey permettant de visualiser le mouvement. La toile n’est pas formellement refusée, mais Marcel Duchamp, qui pourrait la maintenir puisqu’il est membre sociétaire du Salon, qu’il a payé sa cotisation et que le règlement précise qu’il n’y a « ni jury ni récompense », préfère la retirer purement et simplement.

mis en ligne le 11/05/2010
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