par Gérard Sourd
Conservateur en chef honoraire de la BnF
En aucun cas, le « métier » n’est un recours. Il ne saurait dicter une procédure, ni fournir de solution de substitution. S’il considère avec respect et admiration l’univers des outils, il se montre très circonspect devant les prouesses d’artisans. Il considère d’un œil soupçonneux tout exercice de virtuosité et réprouve de la même façon toute affectation de simplicité. Il peine à se définir comme artiste de même qu’il ne peut se résoudre à endosser aucune tenue de circonstance, à commencer par celle du peintre professionnel. Son travail ne se conçoit que dans une mise à distance de l’acquis, dans une retenue du geste presque superstitieuse, tant est grand le risque que le geste ne prenne son autonomie, et ne fausse le jeu.
Cette même réserve prudente se vérifie dans l’économie cistercienne de la palette qui évite tous les débordements. Le noir y règne presque sans partage, seulement réchauffé, à l’occasion, par des miroitements arrachés au corps même de la peinture, qui ne sont pas sans évoquer les profondeurs métalliques du bronze. Tout se passe comme si la retenue et l’oubli des apprentissages étaient les conditions nécessaires à l’émergence de son propos, à l’apparition d’une cohérence. On comprend mieux alors le sens de sa mise en garde : plutôt que dire ce qu’il est, il préfère dire ce qu’il n’est pas ; ou qu’il n’est pas ce qu’il paraît être ; ou que ce qu’il paraît être n’est pas le plus important. Il nous invite à ne pas accorder un trop grand crédit aux apparences et à dépasser les définitions convenues : en un mot il nous propose d’ouvrir l’œil. Cet exercice de vigilance fondé sur l’exigence, ce pas de deux avec les apparences me semble constituer, bien au delà des seules considérations techniques, le nœud gordien de son positionnement. Nulle part mieux que dans les livres réalisés avec des écrivains et des poètes ne se vérifie, me semble-t-il, cette hypothèse. Cet exercice occasionnel, fruit du hasard et des rencontres, lui est précieux à plus d’un titre.
D’abord parce qu’il offre la possibilité de rompre la solitude qui accompagne tout exercice de création ; ensuite parce que le texte qui lui est proposé, en fixant à sa réflexion les limites dont elle a besoin, oriente ses choix et ménage des ouvertures inattendues qui n’auraient aucune chance d’advenir dans d’autres circonstances. Car à la différence d’autres artistes, Groborne tient à ce qu’une relation organique s’établisse entre les mots et les images, quelle qu’en soit la nature.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’ «illustrer » un texte, encore moins d’entrer en redondance avec lui. La solution peut consister à dégager une ligne de force, un thème majeur qu’il lui semble reconnaître pendant sa lecture.