Vous avez une formation de graphiste. Quel a été votre parcours d'artiste dans les années 70 puis 80?
Ce fut une période très riche, contrastée d’expérimentation de plusieurs pistes, certaines contradictoires. Il y avait une vie de groupe, où l’expression corporelle, plastique avait beaucoup d’importance : tout un chacun était capable de créer pensait-on, d’où une certaine dilution de la création dans l’expression.
Pendant cette période, j’ai réalisé de nombreux reportages sur les artistes les plus en vue de l’époque ou qui-selon moi- allaient le devenir: Soulages, Support-Surface, les Malassis, Boltanski, Messager, et tant d’autres. Plus de soixante et dix. A cette époque des débats entre artistes, souvent animés, étaient fréquents. Les écoles d’art étaient en effervescence, tout savoir-faire était jugé académique. Toute production jugée apolitique était déclarée réactionnaire. Dans ce contexte très agité et très fécond, il y avait des clans, des tribus, qui s’excommuniaient mutuellement. Je suivais tout cela à la manière d’un reporter. Mais je ne trouvais aucune place où situer ma production. Je pratiquais la peinture et le dessin, mais aussi la photographie et les mixages technologiques (photo-sérigraphie, projections d’images et performances avec des danseurs). Dans ces années, mon savoir faire de graphiste se manifestait aussi bien dans une peinture gestuelle que dans une production influencée par Support-Surface, ou dans mes premières recherches numériques. On me reprochait un éclectisme qui empêchait que l’on m’identifie rapidement… En 1981, à Castres, j’avais participé à une exposition où des artistes parisiens étaient les invités d’honneur. J’avais installé avec l’ami informaticien avec qui je collaborais, des images réalisées sur table traçante, avec reports en photo-sérigraphie… Mais les organisateurs et les autres artistes, ont considéré que ce n’était pas de l’art puisque nous avions utilisé des ordinateurs, et on nous a fait déplacer notre installation jusque dans le couloir conduisant aux toilettes. J’observe qu’aujourd’hui ces pratiques font les beaux jours de bien des Centres d’Art, mais trop tard pour moi, car je suis de moins en moins « un jeune artiste ».
Vous avez abouti un très gros travail autour et à partir de l'œuvre de Kafka. Ceci était-il un prétexte pour peindre et concevoir des images nouvelles? Qu'avez-vous appris de cette écriture pour votre projet plastique?
Le premier écrivain auquel j’ai été confronté, dans mon travail, c’est Victor Hugo, à la demande du Salon de Montrouge, qui avait invité une dizaine d’artistes à exposer sur ce thème. Sans que je l’ai cherché, d’autres rencontres se sont succédées : Da Ponte, Zofia Rachtaler, Kafka, Patrizia Runfola, Demosthène Davvetas, Cervantès, Diderot, Gérard de Nerval, Karel Capek, Gérard-Georges Lemaire et Casanova. C’est grâce à Gérard-Georges Lemaire, qui m’a invité à participer à des expositions qu’il organisait, que j’ai travaillé à partir des textes de plusieurs de ces écrivains (Kafka, Patrizia Runfola, Diderot, Nerval, Capek, Casanova). Pour une exposition autour de l’œuvre de Kafka, c’est un film qu’il m’a tout d’abord demandé, en me proposant de prendre pour thème « Description d’un Combat ».