L’histoire de Youngju Oh n’est pas celle d’un conflit entre la culture occidentale et la culture extrême-orientale. Quelle que soit la différence abyssale entre ces deux mondes, la modernité a permis leur compénétration, tout du moins dans les sphères de la création où le langage tient une place modeste, sinon inexistante.
La question qui la taraude secrètement est d’une tout autre nature. Elle a trait à la spécificité de l’art. Non seulement à la notion d’art en soi, mais aussi à la relation particulière qu’elle entretient avec elle. Il est vrai que l’art a vu sa définition changer au fil des siècles et que, ces dernières décennies, ses fondements mêmes ont été remis en cause. Il est de plus en plus difficile de dire ce qu’est une œuvre d’art. On pourrait avancer que chaque artiste a la faculté de proposer sa propre vision de l’art. C’est là une liberté immense, peut-être même démesurée, et qui a pour conséquence que l’amateur (le dilettante comme on disait autrefois) se retrouve face à une difficulté supplémentaire : celle qui consiste à comprendre et ensuite à admettre les paramètres propres au territoire où cette figure désormais énigmatique et hypothétique qu’est l’artiste a décidé d’occuper. Les théories qui ont été développées dans cette optique ne font qu’accentuer le désarroi devant ces œuvres.
Youngsu Ho a choisi son propre domaine qui est celui du design. Jusqu’à une période récente, l’on parlait d’art appliqué ou d’art décoratif. Comme d’aucuns ont pensé, à tort ou à raison, que ces expressions plaçaient le créateur dans la région des arts mineurs, elles furent abolies. A leur place, on a préféré un vocable anglais, design, de préférence aux Arts and Crafts de William Morris, qui indexent trop la manualité et la référence aux métiers artisanaux et aux corporations anciennes. Le design peut s’appliquer aussi bien aux réalisations uniques et originales qu’aux productions artisanales. Les auteurs les plus novateurs dans ce domaine ont bien sûr tenté de donner une dimension artistique à leurs travaux. Ce fut le cas d’Ettore Sottsass Jr et du groupe Memphis, d’Alessandro Mendini et d’Alchymia, d’Andrea Branzi, pour ne citer qu’eux. Et puis, sont apparues des figures totalement hors norme comme celles d’Elizabeth Garouste & Mattia Bonetti, Boris Sipek, Olivier Gagnère, Ron Arrad, etc. Le même phénomène s’est avéré en architecture. En somme, le designer, l’architecte, de plus en plus le styliste de mode, le graphiste, le cuisinier (c’est une vieille affaire qui avait fait les délices des satiristes du dix-septième siècle !) ont revendiqué le droit d’être regardés comme des artistes sans renoncer aux prérogatives de leur discipline.