Dans les fables, il y a toujours un crapaud
qui devient prince. Avec un baiser et une baguette
magique, il y a toujours quelque chose ou quelqu’un
qui perd son statut pour acquérir une
nouvelle condition : les citrouilles se transforment
en carrosses et les Cendrillon deviennent reines.
Le transport du « non art » dans
la sphère de l’unicité (ready
made) ou vice-versa, de l’art dans la
sérialité a toujours eu à mes
yeux une valeur plus sentimentale que conceptuelle,
c’est un processus au fort contenu symbolique,
d’ailleurs, « le symbole n’est
pas seulement ce qui assemble deux parties,
mais est le témoignage de la tension
qui permettent aux deux parties de s’unir».
La métamorphose, l’affranchissement de la condition initiale,
la réversibilité permanente du haut et du bas m’ont
toujours semblé les contenus et les promesses les plus fascinants
de l’art contemporain et de sa faculté d’être
la figure métaphorique fondamentale du progrès du développement
de la modernité. Mes oeuvres récentes, grâce à diverses
modalités, s’inscrivent dans l’esprit de ce sentiment,
dans la perception de signaux inquiétants de régression,
pas seulement et pas nécessairement dans des manifestations éclatantes,
au sein de la grande Histoire, mais au sein de cette petite histoire
dont l’existence de chacun de nous est la mesure.
Procédure
Dans mon travail, la toile n’est que le support de la peinture
qui, traitée de manière opportune, devient directement
le moyen de reconstruire même les apparences physiques de l’objet
représenté. Mes re-confections sont des tableaux qui prennent
corps ou, mieux, qui donnent corps à un paradoxe, car la toile
devient littéralement la peau (sensible, palpable) d’un
processus mental qui conserve même la trace physique du référent.
Lieu d’identité et de transfiguration, le corps nouveau
comporte le glissement dans un environnement linguistique différent
et l’échange de fonction entre les systèmes de signes
qui interagissent les uns sur les autres sans perdre les connotations
des environnements d’origine. Le choix de peindre et de reconstruire
directement avec des instruments (pas seulement techniques), les images
et les empreintes de produits réalisés à une échelle
industrielle me servent à produire un court-circuit dans la réalité même
de la fabrication, un accident de nature linguistique qui préfigure
les accidents visuels représentés plus tard. La peinture
me permet de mettre en évidence immédiatement, dans ses
procédures, le conflit entre la rapidité fuyante et changeante
de la marchandise et le ralentissement causé par les supports
et instruments qui ramènent à d’autres rythmes, à d’autres
modalités de l’image et de l’imaginaire, c’est
un seuil entre le signe et le référent qui dans la distanciation
du procédé met en forme la séparation entre le temps
subjectif et la sérialité des images. Voilà la mise
en forme d’une inadéquation qui, dans la tentative de combler
la distance, engendre un effet « zelig » ; ce procédé où la
peinture tente de se faire oublier comme telle, englobe et se dissimule
dans le non spécifique, conduit à une dégénérescence
des statuts respectifs de la communication et devient le sujet véritable
de la représentation, la narration sous-jacente. |