Du coin de l’oeil,
j’ai entrevu une publicité étrange
de ce genre de service immatériel
typique (assurances ?) où l’on
voyait quelqu’un, dans un panorama
touristique, couché dans un hamac
et accompagné d’une jeune fille
en bikini avec une boisson. Cependant les
choses commencent à disparaître
: d’abord la boisson, ensuite la jeune
fille, enfin le hamac… jusqu’à la
disparition de la headline qui murmure : « Peur
de perdre ton niveau de vie ? ». Le
publicitaire nous a capturés. Indépendamment
du fait que nous ayons vraiment possédé tout
cela (des vacances de rêve, des aventures érotiques,
etc.), ce qui compte en premier lieu c’est
que nous ayons pu en rêver et donc
que nous ayons eu peur de le perdre. Ce qu’on
nous dit implicitement, c’est que si
nous avons désiré tout cela,
alors nous faisons partie du « système » -
mais qui est celui qui n’a jamais eu
un désir de ce genre ? Une publicité comme
celle-ci nous fait réfléchir
sur la situation hypermarchande que nous
vivons – et, en définitive,
sur les horizons existentiels de nos désirs.
Le contexte est tel que « personne
n’est innocent », personne ne
peut se « déclarer extérieur » avec
prétention et adopter un point de
vue lui permettant d’exprimer un jugement
dépourvu de passions – et cela
vaut aussi pour les artistes, dont l’oeuvre,
si elle se limite à opposer résistance
et à construire une « réflexion
critique », risqueraient non seulement
de ne pas égratigner l’existence,
mais de rendre son mécanisme plus
fluide, en devenant pour ainsi dire la « transgression
prévue ».
Mais certains artistes – dont certains, par chance, ne sont pas
moins rusés que les plus rusés des publicitaires – se
sont aperçus de tout cela et, prenant conscience de ne disposer
que de stratégies internes au champ de la communication qui nous
entoure, créent des « bricolages » qui utilisent les éléments
défectueux et « anti-communicatifs » qui le caractérisent.
Je crois que le travail d’Antonio De Pascale s’inscrit exactement
dans ce genre de pratique destinée à redéployer
sans cesse les déchets, les excès, les protubérances
et les trous à moitié cachés dans ce qu’un
sociologue comme Arjun Appadurai a défini notre « mediascape » ou
panorama médiatique. Ce qui ne cesse de frapper dans son travail
est justement le fait que plus que d’«oeuvres », il
s’agit de « pratiques », c’est-à-dire
de séquences de travail qui, naturellement, sont en perpétuelle
mutation, à la recherche permanente du « point faible » où la
communication médiatique se contredit et se révèle
en même temps. Dans une série inédite réalisée
il y a un certain temps, Reliefs (1993/1994), Antonio De Pascale avait
par exemple énormément agrandi les fiches d’instruction
pour permettre l’utilisation d’une douzaine de mécaniques,
en mettant en lumière l’énigme de leur beauté pop
et, simultanément, le fait que, bien qu’il s’agisse
d’instructions dont on devrait se débarrasser une fois monté ou
utilisé l’objet auquel elles se réfèrent,
elles n’en continuent pas moins à circuler dans la maison
comme le supplément de quelque chose (le produit) dont elles révèlent
l’absence intrinsèque. Que dans cette oeuvre, comme dans
tout son travail, pour parler de choses totalement
artificielles.
Antonio De Pascale emploie le langage délicieusement artisanal
et conventionnel de la représentation picturale, n’est pas
secondaire. La stratégie utilisée est à la fois
celle d’un rapprochement et d’une distance ; dans les séries
certainement plus connues, qui se concentrent sur l’emballage des
marchandises contemporaines, il en explore l’apparence avec la
patience d’un clerc. Et, comme un copiste, pour Aller et retour
(1995/1998), il se consacre à de scrupuleux trompe l’oeil
du paquet, en recopiant les motifs, le dessin, le logo, jusqu’au
texte détaillant les ingrédients du produit avec la technique
classique de l’acrylique sur toile. D’autre part, il prédécoupe
le « tableau » ainsi obtenu exactement dans les formes du
paquet d’un autre produit, différent de celui précédemment
copié, produisant ainsi des hybrides anormaux, des packagings
transgéniques : yogourt avec la « peau » de lames
de rasoir, cannettes de bière travesties en tomates en boîte,
biscuits avec le look de tampons hygiéniques. Dans une autre série
inédite, Skyline (2004), Antonio De Pascale affine encore plus
les armes de l’analyse : il y a là les images de la télévision
les plus atroces, les plus impressionnantes et vides, qui deviennent
des aquarelles, presque de rapides esquisses de voyage d’un peinte
voyageur du siècle dernier… Mais une fois capturée,
l’image redeviendrait un fétiche si elle n’était
pas de nouveau niée par sa confection : et c’est ainsi que
les légères gouaches d’apocalypses d’après
le dîner deviennent à leur tour des « récipients »,
des boîtes, des involucres vides dans l’attente, peut-être,
d’être remplis de cette signification qui, pour l’instant,
s’obstine à rester latente. |