Ce
qui m’a toujours impressionné avec
Antonio De Pascale et son travail, c’est
l’obstination avec laquelle il s’est
consacré à l’une des questions
les plus urgentes concernant les artistes de notre
temps : quel est leur rôle dans la production
de la myriade fulgurante d’images qui s’imposent
tous les jours à notre regard ? Sans se
perdre dans des diversions de peu d’importance,
De Pascale va droit au coeur d’une thématique
que je qualifierai de contemporaine. Que l’artiste
ait perdu le contrôle exclusif qu’il
détenait autrefois sur la créativité visuelle
est une particularité de notre époque.
C’est un fait : seul un pourcentage insignifiant
des icônes dont nous jouissons proviennent
des artistes. Les responsables sont plutôt
les soi-disants créatifs – graphistes,
publicitaires, directeurs artistiques – qui
travaillent dans des entreprises.
Ils sont différents des artistes : ils ont une formation différente,
ils fréquentent d’autres milieux professionnels et leurs finalités
sont encore plus différentes. Le problème le plus grand – pour
les artistes, pas pour la collectivité – est que les créatifs
ne sont pas pires que les premiers, au contraire : forts d’une écrasante
supériorité économique, ils ont développé une
maturité expressive indiscutable.
Combien d’images des mass médias nous captivent-elles en
monopolisant nos sens et notre intelligence avec une efficacité considérable,
en jouissant en outre de la visibilité sans barrière garantie
par la diffusion par les mass médias ? Autrefois, je le répète,
c’était la prérogative des artistes ; aujourd’hui,
ils voient leurs efforts consumés par un spot publicitaire. Parfaitement
conscient de la folie du geste, De Pascale lance un défi aux colosses
de la production d’images avec sa manualité uniquement armé d’un
crayon et d’un pinceau. Il reproduit avec lenteur des fragments
de l’imaginaire commercial et télévisuel qui, entre
temps, court déjà vers cent mille autres visions. C’est
comme la course du lièvre et de la tortue. Avec l’avantage
supplémentaire que le lièvre, cette fois, ne perd pas de
temps – au contraire, il sait qu’au loin quelqu’un
suit ses traces – et continue à filer à une vitesse
insoutenable. La tortue ne peut évidemment qu’arriver la
dernière. Mais c’est justement dans le fait d’arriver
la dernière ou, peut-être, de n’arriver jamais, que
réside son identité. L’artiste, semble nous dire
De Pascale, trouve son rôle en se situant irrémédiablement
en dehors de la compétition, sans rien à perdre ou à gagner.
De là peut naître une attitude désintéressée
et réflexive et, de manière souterraine, terriblement corrosive.
Tenter de refaire un monde d’icônes étrangères
est une source d’ironie et d’un comique authentique même
si la confrontation fait souffrir d’une condition de handicap insurmontable
ou, comme l’appelle De Pascale, de « syndrome Zelig » ;
vous souvenez-vous du film de Woody Allen ? Pendant le processus d’imitation,
des obstacles se présentent, des incongruités et des erreurs
surviennent. Et, à la fin, les choses ne sont plus égales à ellesmêmes. |