Au
début était Chaos, linforme.
Au début était la main qui gratte
linforme : et la lumière fut. Telle
semble simposer à nous si nous
nous référons aux premiers fusains la
démarche de Garel : la lumière gît
sous lombre première ; le frottement,
expérience de pensée sil en
est, fera surgir létincelle. Un monde
entier est rendu possible, dans le vacillement
premier de la ténèbre, à la
lueur du feu primitif recherché et fabriqué par
frottement. Et très vite, lesprit
vient à la main, qui informe lintelligence
du regard. Boucle première.
Avec cette expérience, demblée lexigence de rendre
vrai, ou vraisemblable, ce que loeil a vu. La divinité tyrannique,
réveillée, ne lâchera plus son étreinte, elle
exige de son serviteur un monde vrai. Et peuplé.
Nous imaginons Garel, enfant, en ingénieur chiffonnier, collecteur
dun monde dobjets : le trésor arraché aux sables
marins par létincelle du regard, mais pour elle seule. Il
nous plaît de limaginer quelques années après,
au milieu du siècle, dans le désarroi absolu dun jeune
peintre confronté aux pressions cyclopéennes de lintellectualisme
moderniste, et se dressant de toute la force de son être pour dire
non.
Dans quelles zones mystérieuses un peintre va-t-il chercher les
appuis pour ne pas se laisser emporter par la logorrhée des sirènes
officielles : de lop-art à labstraction, du déconstructivisme à
tous
les ismes, Garel avait tout pour devenir un artiste officiel entendons
: un histrion social au lieu de quoi il opte, et dun seul
tenant, pour la dimension la plus méprisée de son temps :
il fera de la figuration et, comble, soutiendra la beauté !
Dans ce désert dhostilité, milieu des années
60, oser se dresser et revendiquer la figure est simplement un défi
suicidaire. Mais la fidélité à soi, la simple sincérité,
peut avoir seule la force antisismique. Garel invoquera donc ses racines,
se repliant sur ses seules forces il en appellera sans le savoir à une
terrible divinité, que nous imaginons celtique et dont il va réveiller
les exigences souveraines.
Invoquer un Dieu cest en réveiller dautres : nous verrons
en quoi Garel, le Breton, est un Grec qui signore
La divinité première
quil invoque peut-être sans le savoir, en une prière
muette , celle qui lui fait enfant tendre la main dans lobscurité pour
déchirer le voile, fait de lui son malheureux prophète condamné aux
travaux de Sisyphe.
Car sitôt les objets surgis de la pénombre, voilà quils
exigent dexister et de consister comme sculpture, ceux qui nont
de consistance que dans le vacillement pictural qui les met en vie. Et
la sculpture virtuose de Garel est pour ainsi dire charnellement liée à lobjet
peint : il suffit pour sen convaincre de tourner autour des déchirures
textiles qui mimétisent dans largile les balayures de pigment
des tableaux, de scruter comment la chair dun visage prend consistance
sculptée pour retrouver les accidents tactiles dont sont faits les
yeux et les paupières peints.
Le tour de force, et non des moindres, de Garel, sera de réussir à capter
laccident pictural qui modèle une tête, pour le porter
en volume, dans la terre, la résine ou le métal. En résulte
cette merveilleuse persistance de lécriture du peintre dans
tous les accents de ses sculptures
et ce ne sont là pour notre
délectation que les points de capiton qui accrochent loeil,
mais qui se supportent toujours dune formidable architecture à lélégance
impeccable.
Le bâti des corps sculptés est toujours issu, chez garel,
de la mise en espace qui la précédé dans le
tableau, où nous retrouvons ce goût de la monumentalité :
nous lirons dans ce déploiement des dimensions, ces respirations
damplitude, la culture de ces grands vides sahariens qui séparent
un visage dune main, la reprise de la grande leçon des portraits
du Titien. Dès lors, la divinité celtique réveillée
force Garel à tenir les deux clés de son travail de pair
: matérialiser un chaos primordial et y inscrire une cohorte dêtres
pour le peupler. Cette injonction impérieuse fait de Garel plus
quun peintre ou un sculpteur : lauteur dun monde, le
géniteur dune cosmogonie, Garel habite en peinture.
Mais revenons au début : le mouvement premier de la peinture est
ici de retrouver une matérialisation du chaos premier, sous forme
du plan noir du fusain, la réinvention de cette bouche dombre
entretient selon nous un rapport rien moins que fortuit avec les sujets
qui la peupleront un temps (les Africains, les Jarres) autant quavec
le mythe grec.
Cest très précisément dans cet humus de poussière
fossile que Garel fait son trou dans laffaire, trou primordial qui
fait de lui le pair dun sorcier africain, en communion avec le Dieu
potier quil invoque, Dieu créateur de la terre-mère,
la Gaïa des Grecs dont il ouvre le giron afin quelle enfante
les dieux à naître. Le passage des grands fonds au fusain technique
jamais abandonnée où il retourne se ressourcer évolue
alors vers la restitution dun sol sableux, siliceux, poussiéreux,
où louverture se fait via un fleuve alluvionnaire de pigments
: lhumide irrigue ces sols, ruisselle et excave les surfaces, pour
ne laisser subsister quune lumière pigmentaire colorée.
Dès lors, une bouche est ouverte à Gaïa, la terre-mère,
théâtre éclairé de la seule lumière de
la couleur et qui méconnaît absolument les lois dun
espace perspectif, géométrique.
Ce fait premier, la naissance dune matrice dinscription, évoque
irrésistiblement le mythe platonicien de la caverne, à ceci
près que lombre des objets que les prisonniers de Platon contemplent
ici va engendrer lapparition des êtres peuplant la caverne
: leur incarnation. Lêtre des objets sincarne de leur
ombre même.
Et cette ombre portée reprise de linvention radicale
de Caravage, mais plus proche de De la Tour reste se sourcer à une
lumière indécidable : quel divin projecteur, quelle explosante
fixe irradie ce spectacle ?
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