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Dossier Philippe Garel
Notes sur la peinture
de Philippe Garel
Dossier Franta : Du fond de la nuit, témoigner de la splendeur du jour par Jean-Luc Chalumeau
Par Joseph Assouline
Au début était Chaos, l’informe.
Au début était la main qui gratte l’informe : et la lumière fut. Telle semble s’imposer à nous – si nous nous référons aux premiers fusains – la démarche de Garel : la lumière gît sous l’ombre première ; le frottement, expérience de pensée s’il en est, fera surgir l’étincelle. Un monde entier est rendu possible, dans le vacillement premier de la ténèbre, à la lueur du feu primitif recherché et fabriqué par frottement. Et très vite, l’esprit vient à la main, qui informe l’intelligence du regard. Boucle première.
Avec cette expérience, d’emblée l’exigence de rendre vrai, ou vraisemblable, ce que l’oeil a vu. La divinité tyrannique, réveillée, ne lâchera plus son étreinte, elle exige de son serviteur un monde vrai. Et peuplé.
Nous imaginons Garel, enfant, en ingénieur chiffonnier, collecteur d’un monde d’objets : le trésor arraché aux sables marins par l’étincelle du regard, mais pour elle seule. Il nous plaît de l’imaginer quelques années après, au milieu du siècle, dans le désarroi absolu d’un jeune peintre confronté aux pressions cyclopéennes de l’intellectualisme moderniste, et se dressant de toute la force de son être pour dire non.
Dans quelles zones mystérieuses un peintre va-t-il chercher les appuis pour ne pas se laisser emporter par la logorrhée des sirènes officielles : de l’op-art à l’abstraction, du déconstructivisme à… tous les ismes, Garel avait tout pour devenir un artiste officiel – entendons : un histrion social – au lieu de quoi il opte, et d’un seul tenant, pour la dimension la plus méprisée de son temps : il fera de la figuration et, comble, soutiendra la beauté !
Dans ce désert d’hostilité, milieu des années 60, oser se dresser et revendiquer la figure est simplement un défi suicidaire. Mais la fidélité à soi, la simple sincérité, peut avoir seule la force antisismique. Garel invoquera donc ses racines, se repliant sur ses seules forces il en appellera sans le savoir à une terrible divinité, que nous imaginons celtique et dont il va réveiller les exigences souveraines.
Invoquer un Dieu c’est en réveiller d’autres : nous verrons en quoi Garel, le Breton, est un Grec qui s’ignore… La divinité première qu’il invoque – peut-être sans le savoir, en une prière muette –, celle qui lui fait enfant tendre la main dans l’obscurité pour déchirer le voile, fait de lui son malheureux prophète condamné aux travaux de Sisyphe.
Car sitôt les objets surgis de la pénombre, voilà qu’ils exigent d’exister et de consister comme sculpture, ceux qui n’ont de consistance que dans le vacillement pictural qui les met en vie. Et la sculpture virtuose de Garel est pour ainsi dire charnellement liée à l’objet peint : il suffit pour s’en convaincre de tourner autour des déchirures textiles qui mimétisent dans l’argile les balayures de pigment des tableaux, de scruter comment la chair d’un visage prend consistance sculptée pour retrouver les accidents tactiles dont sont faits les yeux et les paupières peints.
Le tour de force, et non des moindres, de Garel, sera de réussir à capter l’accident pictural qui modèle une tête, pour le porter en volume, dans la terre, la résine ou le métal. En résulte cette merveilleuse persistance de l’écriture du peintre dans tous les accents de ses sculptures… et ce ne sont là pour notre délectation que les points de capiton qui accrochent l’oeil, mais qui se supportent toujours d’une formidable architecture à l’élégance impeccable.
Le bâti des corps sculptés est toujours issu, chez garel, de la mise en espace qui l’a précédé dans le tableau, où nous retrouvons ce goût de la monumentalité : nous lirons dans ce déploiement des dimensions, ces respirations d’amplitude, la culture de ces grands vides sahariens qui séparent un visage d’une main, la reprise de la grande leçon des portraits du Titien. Dès lors, la divinité celtique réveillée force Garel à tenir les deux clés de son travail de pair : matérialiser un chaos primordial et y inscrire une cohorte d’êtres pour le peupler. Cette injonction impérieuse fait de Garel plus qu’un peintre ou un sculpteur : l’auteur d’un monde, le géniteur d’une cosmogonie, Garel habite en peinture.
Mais revenons au début : le mouvement premier de la peinture est ici de retrouver une matérialisation du chaos premier, sous forme du plan noir du fusain, la réinvention de cette bouche d’ombre entretient selon nous un rapport rien moins que fortuit avec les sujets qui la peupleront un temps (les Africains, les Jarres) autant qu’avec le mythe grec.
C’est très précisément dans cet humus de poussière fossile que Garel fait son trou dans l’affaire, trou primordial qui fait de lui le pair d’un sorcier africain, en communion avec le Dieu potier qu’il invoque, Dieu créateur de la terre-mère, la Gaïa des Grecs dont il ouvre le giron afin qu’elle enfante les dieux à naître. Le passage des grands fonds au fusain – technique jamais abandonnée où il retourne se ressourcer – évolue alors vers la restitution d’un sol sableux, siliceux, poussiéreux, où l’ouverture se fait via un fleuve alluvionnaire de pigments : l’humide irrigue ces sols, ruisselle et excave les surfaces, pour ne laisser subsister qu’une lumière pigmentaire colorée. Dès lors, une bouche est ouverte à Gaïa, la terre-mère, théâtre éclairé de la seule lumière de la couleur et qui méconnaît absolument les lois d’un espace perspectif, géométrique.
Ce fait premier, la naissance d’une matrice d’inscription, évoque irrésistiblement le mythe platonicien de la caverne, à ceci près que l’ombre des objets que les prisonniers de Platon contemplent ici va engendrer l’apparition des êtres peuplant la caverne : leur incarnation. L’être des objets s’incarne de leur ombre même.
Et cette ombre portée – reprise de l’invention radicale de Caravage, mais plus proche de De la Tour – reste se sourcer à une lumière indécidable : quel divin projecteur, quelle explosante fixe irradie ce spectacle ?

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mis en ligne le 01/04/2008
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Dossier Philippe Garel

Avant-propos.
Garel ou la réalité fictive par Jean-Luc Chalumeau
Notes sur la peinture de Philippe Garel
par Joseph Assouline
Extraits de la correspondance
entre Philippe Garel et Mlash
Notice biographique de Philippe Garel