chroniques - art contemporain - photographie - photography

version impression
participez au Déb@t

Dossier Gilles Ghez
Tout m’inspire
Dossier Gilles Ghez : Tout m’inspire Entretien entre Gilles Ghez et Jean-Luc Chalumeau
Entretien entre Gilles Ghez et Jean-Luc Chalumeau

Jean-Luc Chalumeau : Il y a une dimension inhérente à ton oeuvre qui m’a toujours frappé, c’est l’humour. Or l’humour n’est pas une catégorie esthétique très répandue. Quand on feuillette l’histoire de l’art, l’humour y est pratiquement absent.

Gilles Ghez : Rembrandt dans certains cas, Jérôme Bosch souvent avaient de l’humour, mais les exemples sont rares en effet.

Gilles Ghez, Le bon sens, 2004. 31 x 31 x 16 cm. coll. privée.J.-L. C. : L’humour serait chez toi un parti-pris ?

G. G. : Non, j’y ai été conduit naturellement si l’on peut dire. Je crois que je suis capable de rire de moi…

J.-L. C. : Tu te représentes souvent toi-même dans tes boîtes de manière pas toujours avantageuse!

G. G. : Dans les oeuvres, un Ghez peut toujours en cacher un autre ; ils sont placés dans des situations plus ou moins invraisemblables qui forment une sorte d’autobiographie imaginaire, ou plutôt tantôt imaginaire, tantôt avec effet de réel.

J.-L. C. : On peut donc voir près des personnages-Ghez des personnes qui font effectivement partie de ta vie ?

G. G. : Oui, de temps en temps, mais ce n’est pas clairement indiqué.

J.-L. C. :Tes références, dans les scènes que tu construis, sont essentiellement littéraires.

G. G. : C’est exact, mais je n’ai pas seulement des écrivains en tête, il y a de très nombreux peintres que j’admire. Si l’on repère surtout des références littéraires, c’est parce que je suis avant toutes choses un conteur. Les surréalistes m’ont débarrassé de la contrainte esthétique en me faisant comprendre que l’on peut parler de n’importe quoi avec le langage pictural. Je suis peu à peu passé d’une sorte de surréalisme classique, avec des bestioles un peu fantastiques et des choses de ce genre, à une forme de réalisme, mais jamais dénué d’humour.

J.-L. C. : Sachant ton anglomanie, particulièrement dans tes habitudes vestimentaires, on devine qu’il s’agit plutôt d’humour british.

G. G. : C’est évident, mais j’adore aussi Alphonse Allais dont l’humour n’a vraiment rien de britannique.

J.-L. C. : Ne crains-tu pas que l’on s’arrête à l’anecdote ?

G. G. : Je n’ai qu’une réponse à cela : mes petits travaux se vendent, et ils se vendent à des personnes qui me paraissent avoir au plus haut point l’esprit de sérieux. Je le dis d’autant plus volontiers que le phénomène est relativement récent. Mais c’est la réalité : depuis environ cinq ans, mon humour est pris au troisième ou quatrième degré, comme il se doit. De même que la perspective est un trucage parfaitement intégré et corrigé par les spectateurs, de même l’humour que je pratique est bien compris et intégré par les collectionneurs, me semble-t-il. L’imposture est permanente en art : si je me posais la question de savoir si je risque de n’être pas compris en introduisant de l’humour dans mes oeuvres, je ne serais pas un artiste. Il faut aimer et imposer ce que l’on ressent, sinon c’est foutu.

J.-L. C. : Et si le spectateur franchement ne comprend pas ?

G. G. : C’est tant pis. Ou plutôt c’est tant mieux : nous sommes avant tout des auberges espagnoles. Disons, pour ce qui me concerne, un pub ou même un club anglais!

J.-L. C. : Tu as indiqué que la reconnaissance du public, des collectionneurs, est récente alors que tu produis depuis plus de trente ans. Y-a-t-il une raison à cela ? Une inflexion de ton style par exemple?

G. G. : Il est possible que mes thèmes les plus récents, les paquebots en particulier, aient touché à une compréhension universelle. La mythologie maritime touche tout le monde, et sur elle peuvent se greffer de multiples aventures. Je pense aussi que le fait d’avoir travaillé pendant quarante ans en enfonçant mon clou est un facteur non négligeable : la persévérance paie en art ! J’ajoute que cette persévérance a été partagée par mon marchand, Pascal Gabert, qui m’a soutenu sans défaillance depuis de nombreuses années : je tiens à lui rendre hommage. Heureusement pour moi, en définitive, l’obstination est mon trait naturel, et l’on sait que le naturel revient toujours au galop.

J.-L. C. : Ta première obstination n’est-elle pas d’avoir construit toute ton oeuvre sur le mode de la boîte ?

G. G. : C’est tout à fait exact. A tel point que pendant très longtemps, je n’ai pas montré les dessins préparatoires de mes boîtes, ce que je fais maintenant. Comme les boîtes sont des objets compliqués à concevoir, le dessin m’offre des raccourcis, des possibilités de simplification que je ne peux pas me permettre dans l’exécution de l’oeuvre finale.

J.-L. C. : J’ai l’impression que tu as choisi le procédé de la boîte parce qu’il se prête particulièrement bien à la pénétration de l’humour.

G. G. : Evidemment. Le procédé de la boîte est déjà en lui-même un pied de nez affectueux à la peinture, et aussi à la sculpture. J’intègre l’une et l’autre dans mes oeuvres qui ne sont ni sculptures ni peintures. Contrairement à d’autres constructeurs de boîtes que j’admire beaucoup, comme Cornell par exemple, ou Kudo dont les boîtes sont anxiogènes au dernier degré, je pratique l’humour : les boîtes sont un mode d’expression universel dans lequel on peut exprimer absolument tout ce que l’on veut. Duchamp aussi a pratiqué la boîte, parfaitement compatible avec sa veine ironique…

J.-L. C. : Tu es venu tout de suite à la boîte, ou bien il t’a fallu parcourir un cheminement pour parvenir à elle ?

G. G. : Jeune, j’ai eu l’occasion plutôt ennuyeuse, pour gagner trois sous, de refaire les peintures d’une salle de bain, et j’avais de l’enduit de bonne qualité en trop grande quantité : j’en ai profité pour faire sortir du mur des homoncules et divers monstres. C’est parti de là ! Contrairement à des artistes qui ont utilisé la boîte pour y introduire des choses, je suis parti du fond de la peinture en quelque sorte. Il y a eu germination et non inclusion d’objets préexistants.

J.-L. C. : Peux-tu parler de tes fréquentations littéraires ? Si tu cherches des idées nouvelles, c’est bien dans la littérature que tu les trouves ?

G. G. : Pas toujours. A la vérité, tout m’inspire. Je suis parti un jour des clefs, et je me suis aperçu que leurs variétés sont infinies. J’ai voulu élargir l’enquête aux ouvre-boîtes, et il est apparu que les ouvre-boîtes sont innombrables, ce qui fait que ma série est inépuisable. Le cinéma a également été pour moi une source d’inspiration illimitée. Plastiquement, m’intéressent des artistes aussi différents que, en vrac, Delacroix, Odilon Redon, Malcolm Morley, Schwitters, Gustave Moreau, Otto Dix, Matisse, Grosz, Picasso, Rebeyrolle, Hubert Robert, Velickovic, Klee, Ensor, Bacon, Philippe Favier… enfin il y a chez moi quelque chose de proche de la démarche de Raymond Roussel en littérature. J’oubliais, parmi les peintres, André Masson que j’admire parce que c’est un chercheur, un type pratiquant une liberté à la fois technique et plastique extraordinaire. Ce n’est pas le surréaliste Masson qui me passionne, c’est l’inventeur plastique chez qui tout fait oeuvre.

J.-L. C. : L’éclectisme de ta liste est frappant, tu n’es guère sectaire!

G. G. : Il est vrai que je ne pratique jamais l’exclusion. J’apprécie même Jeff Koons, plutôt mal vu de mes confrères, car je le trouve très drôle et d’une intelligence brillantissime. Ce qu’il fait me paraît très juste dans la mesure où il est américain ; ses porcelaines issues de la sous-culture sont remarquables.

  page 1 / 2 suite >

mis en ligne le 05/01/2006
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations


Dossier Gilles Ghez
Tout m’inspire
Entretien entre Gilles Ghez et Jean-Luc Chalumeau
Gilles Ghez ou des histoires à dormir debout
par Gérard-Georges Lemaire
Rapport sur la thèse présentée par mademoiselle Béatrice Nathalie Edikt
par Gérard Durozoi
Voyage vers soi
par Fabrice Pataut
Portrait de l’artiste en Œdipe
par Hervé Chayette
Gilles Ghez
Biographie