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[verso-hebdo]
25-07-2013
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La chronique de Pierre Corcos |
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Exotisme estival |
Dans un éditorial fin et séduisant, Patrice Martinet, directeur du Festival Paris Quartier d’Été, pose une question simple et fondamentale, venant déranger la langue de bois liturgique de la « messe culturelle » : pourquoi allons-nous au spectacle ? Et là, il vient nous parler d’espoir (oui, oui), et de ce qu’on voudrait tous atteindre, peu ou prou, à savoir : « ...une vision nouvelle, un bouleversement, la sensation de se perdre et de se trouver dans un même mouvement ». Il ajoute qu’au fond l’on espère une rencontre : « c’est peu dire mais c’est aussi dire tout ». En le lisant, en étudiant la programmation cosmopolite (Corée, Afrique du Sud, Pays-Bas, Espagne, Colombie, etc.) de ce festival, en assistant au spectacle éblouissant Symphoca Princess Bari (Corée), en écoutant les musiques de Be-Being (Corée), en voyant d’autres spectacles venus d’ailleurs, je me suis dit que toutes ces motivations, sous-jacentes selon Patrice Martinet au fait - complexe dans sa démarche et parfois coûteux - d’aller au spectacle, sont aussi celles qui nous incitent à voyager, à rencontrer d’autres cultures. Montaigne répondait à ceux qui lui demandaient la raison de ses voyages : « je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche »… Et, de même que l’être qui s’ennuie de lui-même et ne se satisfait pas de son narcissisme, attend, espère une rencontre amoureuse, les spectateurs et voyageurs, las des limites, erreurs, rituels et excès de leur civilisation, attendent cette « sensation de se perdre et de se trouver dans un même mouvement » par la rencontre avec une autre sphère culturelle, et par exemple avec certains spectacles « exotiques ». D’abord l’univers diapré, rutilant de Symphoca Princess Bari vient frapper nos regards : tenues aux couleurs flashantes, bien loin de nos sempiternels jeans bleuâtres, éclairages audacieux, que la peur du « kitsch » a souvent éloignés de nos scènes… Ensuite, ces chanteuses de pansori, ces curieuses ombrelles, ces miaulements de la voix, cette androgynie des acteurs (rôles féminins joués par des hommes), ces rituels étranges et ces sorciers-guérisseurs (la Coréenne Eun Me Ahn, créatrice inspirée de ce spectacle total, a longtemps étudié les traditions et les cultures chamaniques de son pays) nous réjouissent, sans doute par cette complexité inutile et esthétique (peut-être esthétique parce qu’inutile) nous faisant échapper au règne monochrome de cet omnipotent utilitarisme occidental, qui veut tirer profit de tout, et même de ses tares. Enfin, il y a ce beau conte chamanique coréen, loin de nos plats récits factuels, racontant comment la princesse Bari, abandonnée par son père, jetée à la mer, miraculeusement recueillie par un pêcheur, vivra bien des aventures, affrontera bien des épreuves, avant de revenir, sans rancune, au secours de son père, gravement malade… Les spectateurs parisiens sont en vacances, c’est la canicule, et ils ont envie de partir en voyage, très loin. Ils aspirent à La Figure du Dehors, dont nous parlait si bien l’essayiste et poète Kenneth White, ce « projet poétique fondamental ». « Brûler la maison et partir vers l’Orient »… Par ce spectale, la rencontre s’opère avec toute cette Différence, cet Autre : un exemple, une image de ce qu’ils espéraient confusément. Accueil enthousiaste. Et il en va de même pour le concert donné, toujours dans le cadre de Paris Quartier d’Été, par l’ensemble Be being au Théâtre de verdure du musée du quai Branly… On rencontre, par les sons répétés, la tradition, les mythes coréens sur le chaos et le cosmos, l’univers bouddhiste, et une bizarre musique de cour. Expérience spatio-temporelle qui nous entraîne vers d’autres univers acoustiques, même si le connaisseur en musique connait les liens entre musiques traditionnelles d’Asie et musique moderne occidentales (cf. l’influence de la musique rituelle balinaise, par exemple, sur le minimaliste Terry Riley), même si la globalisation économique tend à homogénéiser toutes ces différences culturelles. Malgré tout, on est ravi, au sens de : on est « enlevé ».
Alors, peut-être, le désir si commun d’exotisme estival, pourtant canalisé par l’industrie touristique et culturelle, recèle-t-il bien plus d’espoir, de rêve sur d’autres formes de civilisation qu’on le pense. Un souhait de changement qui ne sait pas encore ce qu’il cherche, mais déjà bien ce qu’il fuit…
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Pierre Corcos 25-07-2013 |
P.S. Le numéro 68 de Verso est en ligne. Le dossier principal est consacré à Tyszblat.
Cette chronique est la dernière de la saison, elle s’interrompt pour la période des vacances. Rendez-vous en septembre.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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