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[verso-hebdo]
05-01-2012
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Belinda Cannone ; une superbe leçon de littérature |
Voici un pur objet littéraire, particulièrement réussi. Après seize livres dont six romans et cinq essais qui ont fait d’elle un écrivain réputé, Belinda Cannone nous offre La chair du temps (Stock) qui ne se présente ni comme un essai ni comme un journal. Le point de départ est un terrible drame personnel : le 11 mars 2011, rejoignant sa « maison des champs », elle a découvert que l’on y avait pénétré par effraction et que deux malles contenant son journal intime depuis l’adolescence, soit des milliers de pages, les journaux-laboratoires formant la matière première de ses livres, ainsi que sa correspondance, avaient disparu. Elle est soudain devenue « quelqu’un qui a perdu sa mémoire, une autre, une qui n’a plus de passé ». D’où son pari : « faire un livre, c’est-à-dire transformer la perte en œuvre. » Réflexe vital d’écrivain en effet : « puisque ce qui est perdu est moi-même, être l’objet et le sujet du deuil », d’autant plus vital que, française dont l’origine de la famille est sicilienne, née en Tunisie, elle se sent venir avant tout de la langue française : « je suis malangue et Bérénice est à moi » a-t-elle écrit dans un article qu’elle cite. Elle rejoint ainsi le plus grand Gide, celui du Journal, écrivant le 13 février 1943 : « Je me sens issu de la culture française ; m’y rattache de toutes les forces de mon cœur et de mon esprit. Je ne puis m’écarter de cette culture qu’en me perdant de vue et qu’en cessant de me sentir moi-même... »
Belinda Cannone a écrit ce livre pour ne se point perdre de vue : l’auteure de L’écriture du désir, parce qu’a été atteint en elle un centre vital, réagit par un nouveau livre « qui combat la blessure ». De temps à autre, elle éprouve cependant un doute : et si ce « pseudo-journal » n’avait d’autre vertu que de répondre à son intime nécessité ? « ce qui n’a jamais été suffisant pour faire un bon livre » observe-t-elle. Qu’elle se rassure ! Ce qui est nécessaire et suffisant pour faire un bon livre, elle le possède au plus haut degré : c’est le style. Belinda Cannone nous raconte notamment quelques épisodes de ses difficultés de jeunesse, quand elle cherchait à se faire éditer et à pénétrer dans le milieu littéraire. Elle le fait de telle sorte que je me demande si elle n’a pas lu et appliqué le précepte que François Nourissier prodiguait à un apprenti écrivain, il y a bien longtemps, dans Les Chiens à fouetter : « Vous découvrirez vite que la seule loi inexorable de ce milieu est le style. »
Qu’elle ait lu Nourissier ou pas, celle qui a rédigé l’épatant La bêtise s’améliore sait que c’est le style qui fait reconnaître ou exclure. Elle a de l’humour, beaucoup, mais aussi et peut-être surtout une extrême sensibilité aux douleurs de la condition humaine. Elle passe ainsi son temps « à essayer de supporter l’idée de ce que les hommes infligent aux hommes » et, ajoute-elle, qui est fondamental, « pour cela je me suis faite écrivain ». Un écrivain reconnu en l’occurrence, qui pour ce journal qui n’est pas intime puisqu’il est publié et qu’elle nomme donc extime pose une question littérairement grave : « Quand doit-on interrompre un journal extime ? » N’est-il pas vrai qu’un journal « fût-il extime » est littéralement interminable ? Sa solution, étourdissante de virtuosité, consiste à introduire une fiction après avoir été longtemps « exacte » et avoir joué le jeu du journal. Une superbe leçon de littérature à recommander aux jeunes gens de plume. Je reprendrais volontiers pour La chair du temps ce qu’André Gide disait du Rouge et le Noir dans son Journal : il y avait trouvé des chapitres « d’une nouveauté, d’une alacrité, d’une hardiesse incomparables et susceptibles d’agir profondément sur la formation d’un jeune lecteur sensible et qui naît à la vie. » Que les jeunes lecteurs naissent donc aujourd’hui à la vie avec le remarquable professeur qu’est Belinda Cannone, qui ne s’est décidément pas faite écrivain par hasard.
(La Chair du Temps sera en librairie le 18 janvier)
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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