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[verso-hebdo]
17-11-2011
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Sophie Chauveau, celle qui écrit comme peint Fragonard |
Sophie Chauveau s’est taillé depuis longtemps une place originale d’écrivain orienté vers l’art et les artistes. J’avais particulièrement aimé, en 2005, Le rêve Botticelli, ouvrage à la fois savant (l’auteure s’était très précisément documentée sur la vie à Florence au Quattrocento) et romanesque (Sophie Chauveau renouvelait avec verve le genre de la « biographie romancée » en vogue dans la période dite de l’entre-deux-guerres). Mais le centre d’intérêt principal était peut-être un peu trop « la personnalité intime, les amours et la mélancolie fascinante du plus mystérieux des génies de l’histoire de l’art » comme l’indiquait l’éditeur sur la quatrième de couverture. Bref : Sophie Chauveau offrait d’abord à ses lecteurs une étonnante description de la vie sexuelle et sentimentale de ses personnages, d’où sans doute ses tirages flatteurs. Botticelli était certes le « créateur bouleversant d’un Printemps inouï », mais le lecteur était surtout emmené, à un rythme haletant, dans le parcours amoureux qui aurait conduit l’artiste de l’homo à l’hétéro sexualité.
Avec Fragonard, l’invention du bonheur qui vient de paraître aux éditions Télémaque, Sophie Chauveau a franchi un seuil important. Voici un livre de poids (pas seulement parce qu’il dépasse les 400 pages) : non seulement il est parfaitement informé des conditions historiques, politiques et sociales de la vie de l’art en France de Louis XV au 1er Empire, mais il analyse de manière magistrale l’itinéraire plastique de « Frago ». Pour nous faire voir et comprendre la démarche de son héros, l’auteur ne s’embarrasse ni du jargon des spécialistes, ni des facilités de la description célébrative : elle a forgé un style original, d’une élégance proche des œuvres évoquées, de telle sorte qu’elle fait la preuve, pour son propre compte, de ce que la critique d’art est bien un genre littéraire. Elle marche ainsi sur les pas de Diderot dont elle rappelle d’ailleurs, page 121, qu’il inventa « ce genre littéraire : la critique d’art ». Ainsi équipée, elle débarrasse avec brio Fragonard de sa fâcheuse réputation de peintre léger, sinon lubrique : « Le pudique Frago n’hésite jamais à aborder un sujet scabreux de front et le traiter avec sa propre sensibilité. Ses armes sont toujours sincères. À sa pudeur et à sa vitesse d’exécution, il ajoute le furtif de l’abandon et le doute dans l’aveu. Il exprime l’époque. Semblable à elle, il est pétri de craintes. Et d’étranges timidités. » (p. 137)
Si bien que Sophie Chauveau, après nous avoir communiqué une connaissance intime du Quattrocento à Florence, nous immerge aujourd’hui avec un talent époustouflant dans l’admirable civilisation française du XVIIIe siècle. Naturellement celle de Versailles où régna notamment Louis XV bien orienté par la Pompadour, mais plus encore celle du Louvre où régnèrent Chardin, Van Loo et Fragonard lui-même, à propos de qui il est écrit, p. 336, que « peindre alors, c’était respirer large, se mouiller dans l’affaire, montrer son plaisir et le plaisir. Inventer le bonheur en couleur... » Telle est la clé d’un livre qui, sitôt ouvert, ne se lâche plus. Il y a véritablement empathie entre l’écrivain et l’artiste, à qui elle s’attache au point d’écrire comme il peint. « L’écriture est nerveuse, fluide, hachée » note-t-elle : il s’agit de celle de Frago bien sûr, mais on peut penser tout aussi bien à la sienne, en effet. Sophie Chauveau respire large et montre son plaisir d’écrire. Plaisir communicatif et instructif à la fois. Ce livre est véritablement un modèle du genre. Je veux dire le genre littéraire de la critique d’art.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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