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[verso-hebdo]
27-12-2012
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Pierre Tilman, le poète hors des postures |
Je ne vois pas souvent Pierre Tilman, d’autant plus qu’il vit à Sète et que je m’éloigne assez peu de Paris. Mais il fut une époque où l’on se croisait au hasard des micro-événements gravitant autour de la revue Opus International. C’était le temps où, pour vivre, il était peintre en bâtiment associé à Jean-Pierre Le Boulc’h. Les deux compères rafraîchissaient alors les ateliers des copains dans la bonne humeur. Je me souviens particulièrement d’un soir où nous traversions le boulevard Saint Germain (pourquoi étions nous là ? Je ne sais plus), quand il m’a dit à très peu près ceci, que je retrouve dans le dossier de presse de son exposition en cours à la Villa Tamaris de La Seyne-Sur-Mer (jusqu’au 17 mars) : « Je suis quelqu’un qui ne se presse pas. Je me laisse aller au fil du temps. Je suis hors des postures de pouvoir, de stratégie, de prétention... ». Trente ans après, cet artiste, poète, écrivain, critique d’art, conférencier, saxo ténor et d’autres choses encore a conquis, sans la chercher en effet, une place originale dans le paysage culturel français. Comment définir ce grand ami de Filliou qui disait, comme on sait, que l’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ?
On ne définit pas Pierre Tilman, mais déjà vous voyez ce que je veux dire, et cela tombe bien car l’exposition s’intitule justement Tu vois ce que je veux dire. On y trouve des pièces des dernières années, comme ces lettres en plastique autocollantes sur altuglas formant la phrase : « Tuer le réel est un crime impuni » (Tuer le réel, 2008), mais aussi des travaux des années 80, comme ce remarquable Théâtre des opérations (1984), œuvre politique par laquelle ce fils de résistants communistes du Var nous dit ce qu’il pense personnellement de l’attirance du pouvoir et du fric. Appelons cela une installation, avec au centre un « monument du profit » vers lequel convergent en diagonales quatre files de figurines (travailleurs, femmes, soldats, indiens et cowboys). Quatre scènes (le viol de la poupée, les girafes, le lanceur de pierres et la télé, le saut par-dessus le mur des définitions…) se déroulent sur quatre fonds rouge, jaune, bleu et vert. Ce n’est pas tout : « deux schtroumfs policiers, debout sur un cube, arbitrent l’ensemble. À chaque coin du plateau blanc de la table, un mateur guette du haut d’un mirador noir. » Jubilatoire, non ? Vous avez bien entendu compris que le sauteur par-dessus le mur des définitions, c’est le poète, c’est Tilman en personne. Un poète qui a abandonné depuis pas mal de temps la poésie-littérature pour rejoindre le monde tout aussi riche de la poésie visuelle.
Le sauteur par-dessus le mur des définitions prend son pied avec les mots, il les aime, il en est dingue, alors il les assemble dans des sérigraphies, ou bien il colle sur les murs des impressions numériques selon des itinéraires improbables, et cela donne Le mur des mots (2006). Avec des mots, mais aussi des figurines, des photographies et un peu tout ce qui lui tombe sous la main, Pierre Tilman fait des collages. C’est pour lui la technique la plus pratique et la plus naturelle. « Prendre des éléments déjà existant dans la réalité proliférante des images, les prélever, pour les incorporer dans son propre travail, est bien plus qu’une technique, c’est une manière de voir le monde comme un réservoir (…) Ciseau, cutter et tube de colle sont du matériel simple, facile à manier et qui ne coûte pas cher. J’aime ces techniques qui sont, comme c’est le cas de la poésie, à la portée de n’importe qui... » Robert Bonaccorsi a bien raison de saluer cette « façon modeste, critique et poétique d’être au monde ». Oui vraiment, une manière d’être au monde hors des postures qui fonde le style unique de Pierre Tilman.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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