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[verso-hebdo]
10-05-2012
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Jacques Poli : actualité d’un grand artiste
Il y a dix ans que Jacques Poli nous a quittés. Or il n’avait pas obtenu, en 2002, la reconnaissance qui aurait été légitime pour ce grand et trop discret artiste. Je l’ai souvent entendu poser la question dans son atelier de Vincennes, sans colère mais avec un étonnement un peu douloureux : pourquoi n’était-il pas invité à telle exposition collective où il aurait eu sa place ? Pourquoi tant de condescendance de la part de tel « inspecteur de la création » qui remettait indéfiniment une visite pourtant annoncée ? C’était la vie, mais en l’occurrence, la vie de Jacques a été trop courte. Il faut donc saluer l’initiative de Robert Bonaccorsi qui organise une importante rétrospective Poli à la Villa Tamaris-Centre d’art de La Seyne-sur-Mer (jusqu’au 27 juin) avec la complicité indispensable de Martine, veuve de l’artiste et co-commissaire. L’exposition est accompagnée par un beau livre-catalogue qui constituera désormais un bon outil de travail pour les étudiants et leurs professeurs, comme pour les institutions et les collectionneurs qui ne pourront plus ignorer ce peintre original et attachant. « Il a laissé, en partie volontairement, passer sa chance d’être reconnu aussi largement qu’il aurait dû l’être », note Yves Michaud : il s’agit bien aujourd’hui d’une juste et heureuse proposition de réévaluation de Jacques Poli.

Comment situer Poli sur l’échiquier de l’art ? On l’a souvent rattaché à la Figuration narrative, peut-être parce que la plupart des représentants de cette sensibilité étaient de ses amis. Mais c’était une erreur : « l’inscription de Poli dans la Figuration narrative n’a pas grand sens, observe Yves Michaud, Poli est en fait un peintre abstrait-figuratif, c’est-à-dire abstrait à force de s’obnubiler sur des fragments. » On ne peut notamment pas tirer argument du fait qu’il participa, en 1977, à l’exposition Mythologies Quotidiennes 2 pour faire de Poli un artiste de la Figuration narrative. Gérald Gassiot-Talabot avait tenu à entourer ses amis historiques de beaucoup d’autres, de sensibilités très différentes (Constantin Byzantios par exemple), à tel point que Rancillac, furieux, avait menacé de tout envoyer promener ! D’ailleurs, Poli lui-même, invité à indiquer plastiquement ce qu’étaient pour lui les mythologies quotidiennes, avait refusé le terme pour lui préférer celui de « mythologies obsédantes ». Sa démarche était profondément solitaire, ce qu’avait bien vu alors Gilbert Lascault : « fasciné par l’élémentaire industriel, il l’affirme, et, simultanément, le désavoue et le pervertit ». Quant à Michel Ragon, il renchérissait : Poli n’est pas narratif : il est « laconique, allusif, tout le contraire d’une narration. »

Aujourd’hui, Yves Michaud, dans son essai du catalogue, se souvient qu’en 1999, il a écrit dans le numéro 19 de Verso dont le dossier était consacré à Poli, et juge que c’est l’occasion de compléter son analyse : « J’y disais que Jacques Poli était un peintre aux talents complets, quelqu’un qui structurait toujours très solidement ses peintures en utilisant un dessin clair et ferme sans complaisance pour la virtuosité ni la joliesse. J’ajouterais aujourd’hui que ces talents se manifestaient aussi à travers des médias très différents et sur des supports très différents. Ce qui me frappe aussi rétrospectivement , c’est qu’il y avait chez lui quelque chose du dessinateur industriel ou du designer - le travail était toujours mûrement réfléchi précis et « propre ». Poli travaillait ses toiles avec un sens constant de la complexité de la surface picturale. » Finalement, Poli a mené une réflexion continue sur les moyens de la peinture et du métier du peintre. De quoi décourager ceux qui ne recherchent que le message ou le spectaculaire, et de quoi ravir les amoureux de la peinture. Je sais qu’il y en a encore.
www.sitejacquespoli.com
J.-L. C.
verso.sarl@wanadoo.fr
10-05-2012
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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