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[verso-hebdo]
07-06-2012
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Pierre Buraglio, toujours l’esthétique du pain perdu |
La belle exposition Buraglio actuellement présentée par la galerie Jean Fournier (jusqu’au 30 juin) me paraît constituer par elle-même une réponse cinglante à un propos de Wim Delvoye relevé dans Le Monde du 31 mai : « Il y a une débilisation de notre culture et j’en suis le complice ». Buraglio s’est déjà exprimé sur ce thème : « Je me refuse à céder aux sirènes du désenchantement, au nihilisme nouvelle manière, et invite mon entourage plus jeune à faire de même, à résister aux discours qui instillent l’engourdissement, font frein, inhibent… Je suis las de lire ou entendre tel ou tel nous asséner : « ère du vide », « tyrannie du vide », « société du non sens… Je ne sais si ces thuriféraires du malheur mesurent à quel point leur accent rappelle celui d’une certaine extrême-droite. Ne retrouve-t-on pas chez eux un ton à la Drieu la Rochelle ?... » Buraglio ne se complaira jamais dans la débilisation de la culture et n’en sera évidemment jamais le complice. Il n’en restera pas moins un témoin passionné de son temps par les moyens volontairement humbles de son art.
Volontairement humbles : Pierre Buraglio a depuis toujours adopté « Le parti pris des restes » (c’est le titre de son exposition) en mémoire de la façon dont, dans sa famille, l’on transformait les morceaux de pain rassis en un délicieux dessert. L’esthétique du pain perdu fut celle du militant des années 70 qui récupérait les emballages de paquets de Gauloises sur les trottoirs, les enveloppes administratives au fond des corbeilles, les vieux châssis de fenêtres dans les chantiers de démolition, et leur conférait une existence nouvelle. Aujourd’hui, Le parti pris des restes fait aussi référence au Parti pris des choses publié par Francis Ponge en 1942. Il s’agit d’appréhender la guerre, celle de 14-18, par la métonymie à partir de pauvres objets récupérés (ceux qu’il a observés en travaillant à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne en 2010-2011). Ces pauvres godasses, képis, besaces, révolvers deviennent des évocations efficaces d’une guerre atroce que l’on avait crue la der des der…
Des peintures sur bois, des dessins précis de parties grandeur nature de la capote bleue conçue par le couturier Poiret, des morceaux de blouses blanches d’infirmières. Mais aussi, dans le quatrième volet de l’exposition intitulé Rêve de soldat, un damier, une trompette, une bouteille qui contint du vin, dessinés d’après le motif sur du carton récupéré. Buraglio parle du quotidien des victimes de la guerre à partir de débris. Lui-même, à l’intérieur de sa propre démarche, a souvent récupéré des traces de son œuvre. Il emploie des scories, note Gilbert Lascault : « Elles sont vouées d’abord à la poubelle : des débris, des traces, laissées à des étapes de son travail. Plus tard il les reprend. Il les récupère. Il les recueille. Il les « réutilise » dans un processus de recyclage. » L’esthétique du pain perdu, décidément, hier comme aujourd’hui. Buraglio n’a pas de message à faire passer, peut-être seulement des émotions qu’il voudrait communiquer à d’autres. Dans les années 60, on demandait toujours aux intellectuels « d’où tu parles ? ». La réponse de Buraglio n’a pas varié : « Ce n’est qu’en tant que peintre que je m’autorise à prendre la parole… Parler du monde en étant bel et bien dedans comme artiste et comme citoyen. » Voyez les peintures et les dessins du Parti pris des restes, entendez, par métonymie, les murmures et les cris qu’ils portent. Jamais l’esthétique du pain perdu n’a été aussi éloquente.
www.galerie-jeanfournier.com
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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