Mais la cire a reçu ses lettres de noblesse dans un autre domaine,
celui de la médecine. Dans les premiers temps, menacés par
les foudres de l’Eglise, les médecins avaient commencé à observer
les différents organes et l’ensemble du système sanguin,
nerveux et osseux. Ils dessinèrent ce qu’ils virent. Ce dessin devint
de plus en plus sophistiqué, précis, mais se vit aussi attribuer
une dimension esthétique. Et la peinture a joué son rôle
dans la question car elle avait besoin des constatations tangibles que la science
lui apportait. Il n’est que de se souvenir du Christ mort d’Andrea
Mantegna (la perspective joue un aussi grand rôle dans ce tableau que la
science), ou La Leçon d’anatomie du docteur Joan Deyman de
Rembrandt.
À la fin du dix-septième siècle, on recherche le moyen de
produire une vision plus réaliste et plus concrète du corps humain.
Elle ne pouvait être vraiment fidèle qu’en volume. C’est à cette
fin que la céroplastie voit le jour. L’un des premiers à avoir
mis au point cette technique est l’abbé Gaetano Giulio Zumbo. La
tête qu’il a exécutée en cire où le cuir chevelu
est soulevé pour révéler une partie des os du crâne.
Cette composition magnifique a inspiré le fameux passage dit « du
morceau de cire », dans la Seconde Méditation Métaphysique que
René Descartes commence à rédiger en novembre 1639. Le grand
duc de Toscane lui permet de réaliser plusieurs modèles. Il a été imité d’abord à Florence,
puis dans toute l’Europe. Le musée florentin de la Specola fondée
en 1775 renferme ses ouvrages et d’autres tout aussi merveilleux, comme
les têtes de Clément Susini, qui traduit dans les trois dimensions
les travaux de Paolo Mascagni. Par la suite, Francesco Calenzuoli et son fils
Carlo, ou Luigi Calamei se sont distingués avec éclat dans ce genre. À Paris,
l’école de la Santé développe ses activités à partir
du 14 frimaire de l’An III (4 décembre 1794). Pinson s’y distingue
avec la collaboration d’un peintre et dessinateur, Le Monnier. Ils réalisent,
entre autres choses, des modèles très soignés d’organes.
Cette conception réaliste et efficace de l’anatomie a pris aussitôt
une configuration artistique, comme le prouve l’impressionnant écorché en
bronze de Ludovico Cardi dit le Cigoli (circa 1600). Et cela est tout aussi vrai
dans les grands albums d’anatomie jusqu’au début du dix-neuvième
siècle, avec des aspects fantastiques ou poétiques. C’est
ce que démontre, par exemple, la Tête d’homme anatomique d’Honoré Fragonard
(entre 1766 et 1771). Et dès lors plus aucun artiste digne de ce nom ne
peut se dispenser de la connaissance de la science anatomique pour représenter
un individu ou un animal.
Telle théâtralité du corps a inspiré une nouvelle
manière de conserver le souvenir des hommes illustres. C’est alors
que sont apparues ces attractions dont le succès ne s’est plus jamais
démenti : les musées de cire. Le Cabinet de Madame Tussauds
est le premier du genre. Mme Marie Tussauds, qui enseigne l’art à la
cour de Versailles à partir des années 1770 apprend l’art
de la cérologie sous la direction de Philippe Curtius. Elle prend ensuite
le masque mortuaire en cire des grands personnages de la Cour. Cela lui donne
l’idée d’une exposition itinérante avec des mannequins
d’une ressemblance confondante. Puis elle se rend à Londres où elle établit
son fameux cabinet de figures de cire en 1835. Trente ans plus tard, Hartkoff
fonde un musée du même genre dans le passage de l’Opéra à Paris.
C’était un cabinet de curiosités avec des pièces géologiques
et ethnographiques. Les moulages réalisés par le professeur Schwartz
de Stockholm ne sont qu’une partie des bizarreries qu’on peut alors
y voir. En 1880, Arthur Meyer, le directeur du grand quotidien Le Gaulois rencontre
Alfred Grévin qui est sculpteur, décorateur de théâtre
et caricaturiste. Il a l’idée de lui demander de faire des mannequins
représentant les souverains, chefs d’Etat, savants et hommes de
lettres, meurtriers qui ont défrayé la chronique et figures qui
apparaissent dans les colonnes de son journal. Le musée Grévin
voit bientôt le jour sur les Grands Boulevards. C’est un bâtiment
richement décoré comprenant un palais des mirages car la magie
et l’illusionnisme y jouent une part importante.