Quelques prolégomènes
Un mot peut être comme une bombe à fragmentation. Ou encore
comme une bombe à retardement. C’est selon.
Un mot a le pouvoir, si c’est un bon mot, un mot d’esprit, un
mot bien en chair, plein d’énergies vitales et de sucs printaniers,
un mot qu’on peut prendre au propre comme au figuré, de nous
entraîner dans plusieurs univers, les uns bien réels, les autres
vraiment imaginaires. Il nous dévoile l’univers tel qu’il
existe ou nous révèle des instants perdus de notre existence.
Il a cette faculté fabuleuse d’évoquer des choses qui
sont là et des choses qui sont absentes. Les mots existent dans l’abstraction
autant que dans la figuration. Les choses, elles, se passeraient volontiers
des mots. Mais voilà, nous ne pouvons plus nous passez d’eux.
René Magritte a eu beau se révolter en peignant une pipe et
en écrivant au-dessous : « Ceci n’est pas une
pipe ». Il a eu raison : l’homme a sa dignité et
peut voir le monde à sa guise. Mais il n’y avait rien à faire :
sa pipe, toute peinte qu’elle fut, et par conséquent libre,
enlevée à la réalité réifiée, fictive,
nous soufflait toujours ce mot, dans quelque langue qu’on eût
choisie. Les mots collent aux choses et nous nous agrippons à eux
pour ne pas sombrer dans le néant de l’inconnaissance. Ce qui
est sans nom est mystérieux, angoissant, suspect et laisse sans doute
planer l’ombre d’un doute - un danger en danger, en somme.
La poésie a été un remède pour l’homme
prisonnier du langage. Il avait reçu en dotation un outil magnifique,
mais aussi un fruit empoisonné (celui de l’arbre de la connaissance,
cela va sans dire). Il fallait donc qu’il eût barre sur ce lexique
envahissant et qu’il en fasse sa chose. Il le fit pour maîtriser
le réel. Puis il l’utilisa pour conquérir le pouvoir.
La poésie a donné d’autres poids et d’autres mesures
aux mots. Des contrepoids, tout bien pesé. Pour Stéphane Mallarmé,
l’art poétique consistait à donner une résonance
inouïe aux mots en les arrachant à leur usage commun. On a voulu
leur attribuer des significations nouvelles ou en extraire la substantifique
moelle. Francis Ponge, avec son Savon par exemple, a éprouvé la
nécessité d’en explorer l’anatomie, comme un jeune
carabin découvre les secrets du vivant en disséquant un cadavre.
Un mot recèle en son sein un univers complexe et insondable qui fait
pourtant partie de notre expérience familière des êtres
et des choses. Et l’écriture est là pour rendre cette
familiarité surprenante, parfois extraordinaire, tout en conservant
ses évidences.
Si l’on se place dans l’optique de l’art, la cire nous
fait aussitôt penser à la sculpture. La technique de la cire
perdue est séculaire et est encore utilisée de nos jours pour
donner une forme au métal, que ce soit du bronze de l’argent
ou de l’or. La cire disparaît complètement au cours du
processus conduisant à la création d’une sculpture ou
d’une pièce de joaillerie. Elle est essentielle à ce
processus, mais elle n’en est que le modeste instrument. La cire a
la même place que le jaune d‘œuf dans la préparation
de la peinture à l’huile à la fin du quinzième
siècle.