Cette catégorie de musées a fasciné bon nombre d’écrivains.
Joseph Roth relate sa visite au musée Grévin à l’attention
des lecteurs du Frankfurter Zeitung le 10 juin 1928. Il dépeint
les Parisiens qui déambulent dans les rues comme des « promeneurs
fantomatiques et dotés d’une présence corporelle […]
Tous étaient comme de la cire. Comparés à eux, les mannequins
du musée Grévin étaient de bien plus véridiques imitations. » L’écrivain
autrichien nous entraîne dans l’univers à la fois un peu mortifère
et très merveilleux de cet établissement qui est déjà une
institution. Il s’attarde sur le sort de Poincaré, s’arrête
devant Napoléon expirant à Sainte Hélène. Il conclut
en disant qu’une « atmosphère macabre enveloppait le
tout. On pouvait y contempler des miracles avec des yeux charnels. »
Le versant macabre du musée de cire que pointe du doigt Roth, Gustav Meyrink,
l’auteur du Golem, l’a traduit dans la nouvelle intitulée Das
Waschfigurenkabinett en 1916. Le musée oriental de Mohamed Darasckoh
est tout bonnement effrayant et mystérieux. Ce Persan d’illustre
naissance, initié aux sciences occultes par Tommaso Charnoque, a réuni
sous une tente foraine les objets et les êtres les plus étranges
du monde : un sarcophage transparent, une figure de cire animée par
un moteur, trois têtes authentiques, tout ce qu’il y a de plus vivantes,
des jumeaux encore reliés par un cordon ombilical, entre mille autres
choses surprenantes. Cet homme énigmatique possède un pouvoir magnétique
inconcevable : il oblige les spectateurs à danser une grotesque danse
de saint Guy. La figure de cire est au centre d’un microcosme énigmatique
et ésotérique où un monde spectral menace le monde trivial
des apparences.
Métamorphoses de la peinture
L’œuvre d’Ana di Febo repose sur un déplacement
de l’art de la peinture qui est lourd de conséquences. Utiliser
de la cire à la place des pigments, de l’huile ou de l’acrylique
a constitué une décision cruciale. Ce geste fondateur a provoqué des
réactions en chaîne qui sont aussi nombreuses qu’importantes
puisqu’il bouleverse de fond en comble l’essence du tableau.
Sa manière de travailler la cire n’implique aucune référence
directe à la mythologie qui peut entourer cette matière :
l’artiste ne nous fait pas songer aux figures de cire des médecins
d’autrefois ni même à ce que la littérature a pu
en dire. Elle l’envisage comme un pur instrument de sa pensée
esthétique et comme une nouvelle perspective dans laquelle la peinture
peut advenir. Sans être un procédé strictement formel,
cette façon spécifique de concevoir le tableau s’inscrit
dans une logique propre à la création moderne.
Depuis l’époque des avant-gardes au début du vingtième
siècle, l’art a été marqué par le désir – et
même par la nécessité impérieuse – de faire
entrer toutes sortes de matériaux dans le champ de la production picturale.
Tout a commencé avec les collages cubistes et aussi avec ceux imaginés
par les futuristes italiens. Les assemblages dadaïstes (je pense surtout à ceux
de Kurt Schwitters) et les tableaux reliefs en bois d’Hans Arp élargissent
le champ de ces spéculations qui dépassent de loin une réflexion
d’ordre technique. Les constructivistes russes puis les surréalistes
et les artificialistes tchèques ont à leur tour apporté leur
contribution à ce déplacement permanent des paramètres
de la composition. Après la Seconde guerre mondiale, cette tendance
ne fait que s’accélérer : la toile de jute et la matière
plastiques font partie intégrante de la démarche d’Alberto
Burri, Lucio Fontana incruste des pierres semi-précieuses dans ses toiles,
Jean Dubuffet utilise la terre et Antoni Tapies se sert de bois de récupération
et d’objets trouvés. Il faut aussi se souvenir des affiches utilisées
par Villeglé, Mimmo Rotella ou Arthur Aeschbacher et des assiettes cassées
de Schnabel. La peinture est toujours plus le fruit d’un éloignement
des techniques traditionnelles et la liberté la plus absolue s’impose
en ce domaine. Le néon y fait son apparition avec Martial Raysse et
l’or y retrouve sa place avec les Monogolds d’Yves Klein
ou les grandes icônes abstraites de Giampiero Podestà. De surcroît,
on assiste à la déconstruction des éléments du
tableau avec le groupe Support/Surface en France (c’est toujours le propos
de Daniel Dezeuze aujourd’hui) ou sa dissémination spatiale, comme
l’a tentée Pino Pinelli en Italie. Umberto Mariani utilise désormais
le plomb et Esther Segal crée des compositions avec du papier photographique.
D’autres emploient encore la toile, mais utilisent des matières
improbables comme le sang dans le cas de Nitsch (La Frise de la passion,
1962), ou des mouches, comme l’a fait Damian Hirst dans un grand triptyque.