Anna Di Febo adhère sans conteste à cette « tradition
su nouveau », mais y introduit une relative contradiction : ses
tableaux préservent les grands principes de l’art abstrait. L’emploi
de la cire y insinue de nouvelles données et transforme sensiblement la
construction de l’ouvrage. En d’autres termes, certaines de ses compositions
reproduisent un schéma propre à la peinture abstraite, géométrique
ou non, mais, ayant abandonné la matière picturale, le résultat
obtenu s’écarte ce qu’il aurait pu être dans la problématique
initiale. La cire engendre des situations plastiques d’un autre genre et
donc des œuvres qui s’éloignent considérablement du
langage de l’abstraction dont l’artiste se recommande pour en faire
son point de départ.
La transparence relative de la cire lui permet d’obtenir des effets de
superpositions qui, si on les compare à ce que Mark Rothko recherchait
par l’accumulation de couches de couleurs pour obtenir des déclinaisons
chromatiques, n’ont rien de commun. Si Anna Di Febo répétait
la procédure du grand peintre américain, elle donnerait naissance à quelque
chose de radicalement différent de par la nature même de la cire.
En somme, elle s’est offert la possibilité de rejouer la peinture
avec des règles et des modes qui consentent de la projeter dans une autre
sphère théorique et sensible. Ce déplacement subtil est
plus complexe et profond qu’il ne semble à première vue.
C’est l’émergence d’une expérience encore inouïe
de l’expérience picturale la peinture restant la fin ultime de sa
quête alors que sa méthode échappe à ses lois traditionnelles.
Sans doute conserve-t-elle des usages propres aux modalités passés
de l’art. En autres choses, elle ne commence un tableau qu’en ayant
exécuté un dessin préparatoire. Ce cheminement prouve qu’elle
a l’intention de bâtir un canevas et que son travail n’a rien
d’aléatoire. Et pourtant, le matériau qu’elle a choisi
n’est pas aisé à traiter. La paraffine dont on se sert pour
fabriquer les cierges n’est pas d’un maniement toujours simple. Elle
la considère comme étant « un matériau vivant et incontrôlable ».
Le dessin constitue à ses yeux la « mémoire »,
la « trace » d’un périple qu’elle a pu accomplir à partir
de lui. La cire, à cause de sa faculté d’être ou dure
ou liquide, malléable, chaude ou froide selon les cas, lui réserve
des surprises qu’elle doit assumer dans le moment de la réalisation
ou dont elle peut tirer un effet inespéré. Cela fait qu’elle
associe de facto deux conceptions non pas opposées mais pas toujours conciliables
(du moins dans un premier temps) de l’élaboration de ce qu’elle
nous offre en guise de tableau.
Des jeux de surface et des affleurements en volume
Ce que la cire autorise dans l’œuvre d’Anna Di Febo, c’est
de pouvoir jouer un double jeu. D’une part, le tableau peut être
lu comme une surface plane, même si les effets de transparence sont
la clef de la composition. De l’autre, c’est un volume au sein
duquel elle enferme des formes qui peuvent sembler parfois être des
sculptures au plein sens du terme. En sorte qu’elle entretient une
ambiguïté de manière délibérée quant à la
nature de ce que nous avons sous les yeux. Plusieurs de ses œuvres
sont des « boîtes » où se sont retrouvés
piégées des formes en relief qui, parfois, font songer, à première
vue, à des travaux de Fausto Melotti. Mais ce matériau si malléable
lui procure un grand nombre de possibilités.
Il peut s’agir parfois de coulées formant des arrondis qui se
traduisent par un plan qui se présente comme un support et par une « forme » qui
se détache sur le premier. Dans ses œuvres récentes, elles
privilégient des contrastes de blancs et de gris, avec des noirs intenses
et profonds. Ces bichromies, frappées d’impureté, surtout
quand il y a des objets aux contours oblongs, peuvent être regardées
comme des réminiscences d’Alberto Burri, qui sont plus ou moins
détournées ou perverties, mais néanmoins évidentes.
Elle en profite pour montrer que telles configurations, dans la perspective
qui est sienne, aboutit à des combinatoires nouvelles et, en fin de
compte, à une intelligence de l’espace sensible inouï. Mais
elle a aussi produit des oppositions entre des teintes vives où surgissent
des bleus et des rouges et même des roses. Elle a enfin donné le
jour à des monochromes qui présentent néanmoins des stratifications
et des lignes et des plans de nuances diverses. La technique de la cire, par
rapport à celle de la peinture, lui permet d’élargir son
champ d’action tout en conservant un répertoire formel extrêmement
restreint : son langage plastique se résume à des associations
entre des traits des arcs de cercle et des plans. Cet élargissement
des possibles fait que ce répertoire limité s’avère
d’une richesse considérable. Son propos n’est pas de multiplier
les signes qui la caractérisent, mais de les placer dans des situations
sans cesse renouvelées. Elle fait une démonstration qui consiste à déployer
un territoire où son alphabet de base est décliné sans
jamais changer de sa physionomie. Quand on compare ses ouvrages plus anciens
où elle a réalisé une série de tableaux qui ont
une couleur jaune légèrement bruni qui est celui de la cire et
ceux, beaucoup plus récents où elle emploie l’opposition
du noir et du blanc, on se rend compte que qu’elle n’a pas beaucoup
varié ses axiomes de base.