L’arme moderne le boude. Il n’y aura guère que Giacomo Balla pour en faire un usage assez modeste. Ce n’est que bien plus tard, aux Etats-Unis, qu’il fait un retour inopiné et spectaculaire. En 1953, Robert Rauschenberg exécute un assemblage qu’il recouvre de feuilles d’argent et d’or. C’est une date-charnière, car il est sans doute le premier à utiliser l’or non plus en référence au passé (comme Klimt, qui récupère à sa façon l’héritage byzantin), mais comme matériau lui permettant de recouvrir des feuilles de papier journal, leur attribuant de la sorte une autre signification. Quatorze ans plus tard, Chris Barker, avec son Art Box (I& II) présente une boîte à peinture tout ce qu’il y a de plus banale et une palette en acier chromé et cuivre doré. Il accomplit un geste crucial, car, d’une part, il pousse l’artifice à son comble, de l’autre, il nous fait prendre la proie pour l’ombre (nous sommes donc au-delà de l’artifice). Et, en engendrant ce leurre, il établit une équivalence entre l’objet (l’œuvre d’art supposée) et sa valeur dans l’absolue.
Déjà en 1960 Yves Klein avait pensé et
réalisé ses Monogolds. Il les a voulu dans une relation
trinitaire avec le bleu et le rose. Il avait même eu l’idée
de présenter un polyptyque noir, or, bleu, rose et argent, mais il
n’a pas développé cette proposition. Il fournit une explication
de sa relation particulière à l’or et qui n’a d’égal
que celle qu’il entretient avec son bleu IKB : « Je
suis assailli par les monochromes-or. Aujourd’hui, ils m’éblouissent,
et brillent par-dessus tous les autres jusqu’à les écraser….
Je pense à l’or; mais à un or sans forme définie:
diadème, pendentif, monnaie, etc. Ni, non plus, à un or naturel
(pépite, poussière, etc.) ; Mais à quelque chose
que je formule ainsi: à une pesanteur-lumière. Même naïvement,
l’or est « alchimique ». Et plus encore que les
autres matières qu’il emploie, l’or est la signature alchimique
de K. Quelque chose comme un sceau, une trace individualisée, qui
parachève jusqu’à l’éblouissement le succès
d’une œuvre»
Alberto Burri a lui aussi utilisé l’or dans
ses œuvres, de manière directe ou indirecte, pendant les années
soixante-dix, dans le grand cycle des Celottex.
Le phénomène est aussi impression que déconcertant : ces dernières années, l’art contemporain ne cesse de multiplier les créations où l’or entre en jeu. De Tom Sachs à Gianni Burattoni, d’Umbero Mariani à Jannis Kounellis, de Gino De Dominicis à Jean-Paul Raynaud, de Jan Fabre à James Lee Bryars (la liste est sans fin, sans parler des artistes qui ont engendré des simulacres, comme Jean-François Bory), les artistes ont éprouvé le désir de faire des œuvres dans ce matériau coûteux. Les questions que pose cette pratique sont sans nombre. Anne-Marie Charbonneaux, dans ses recherches minutieuses a pu en établir une nomenclature vertigineuse.
L’une des clefs de cette activité somme
toute étrange dans sa prolifération à l’échelle
mondiale ne serait-elle pas la faculté d’espérer que
la valeur d’échange de ces créations pourrait être équivalente à son
poids d’or (réel ou fantasmatique) ?