La chronique insolente de Gérard-Georges Lemaire
UN ART QUI VAUT SON PESANT D'OR
par Gérard-Georges Lemaire

      Tout commence (selon toute vraisemblance) par une sale affaire d’argent : elle implique un certain Judas Iscariote. Pour comprendre qui fut l’apôtre qui a trahi Jésus de Nazareth, il faut surtout prêter crédit à l’évangile de Jean. L’auteur de l’Apocalypse n’a de cesse de jeter l’opprobre sur l’homme qui allait conduire à l’arrestation, la condamnation et la mort infamante du Christ sur la Croix. Il en fait même un démon (6 7). Un démon, donc un être maléfique. Mais c’est oublier le rôle véritable des démons dans la religion hébraïque : ce n’est pas un diable ou un suppôt de Satan, comme le veut le dogme catholique, mais un émissaire de Jéhovah. Le Tout-puissant envoie un démon, un de ses émissaires sur terre, pour mettre à l’épreuve de sa foi le malheureux Job en faisant périr les siens, en le ruinant et en le réduisant à la désespérance. Qualifier Judas de démon n’est donc pas nécessairement parler d’un être mauvais, vénal et délateur. C’est une personne qui accomplit une mission dictée par Celui qui n’a pas de nom. Il accomplit un geste inqualifiable pour que le sacrifice puisse avoir lieu, pour que le fils de Dieu meure et ressuscite enfin. Cette interprétation donnerait un peu de crédit à l’évangile apocryphe de Judas, qui en fait l’apôtre favori du Christ.

      Toujours selon Jean, Judas serait la quintessence de l’avidité. Son immoralisme et a cupidité sans borne est traduite par la question qu’il aurait posé aux autorités du temple : « Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? » On lui propose la somme que la loi mosaïque stipule avec précision pour la vente d’un esclave : trente sicles d’argent. (Matthieu, 26,14-16 - cf Exode 21,32)

      L’histoire de la félonie de Judas n’est pas exempte de quelques contradictions d’un Evangile à l’autre. L’aparté de Jésus avec son apôtre a pour objet de lui faire comprendre à demi mots qu’il sait tout du marché qu’il vient de conclure pour le livrer à la justice, est reporté chez Jean. Toujours chez ce dernier, après le lavement de pieds, Jésus s’adresse à ses disciples et déclare qu’il y a un traître parmi eux ; Judas demande alors si c’est de lui dont il parle ; le Seigneur lui répond sans détours : « Tu l’as dit » (on retrouve cet échange dans Matthieu, 2625). Pourquoi le Christ pose-t-il cette question à ses douze compagnons, alors qu’il aurait déjà fait comprendre à Judas qu’il n’ignorait rien de ce qu’il avait fait contre lui ? Est-ce une façon de mettre l’accent sur une condition sine qua non du rachat des péchés des hommes ?

      L’épisode où Judas, écrasé par la honte et le remord, est désireux de se repentir en se débarrassant des trente pièces et qui finit par se pendre est véhiculé par le seul Matthieu (27,3-5). En revanche, les Actes nous fournissent une version complètement différente de la fin de Judas.

      Quoi qu’il en soit, la traîtrise de l’apôtre est demeurée dans l’histoire occidentale le signe de l’infamie du peuple juif, qui passe pour être responsable de la mort du Messie.

      Andy Warhol a eu l’idée de génie de faire du dollar le sujet de nombreuses compositions (quasiment aussi nombreuses que celles où apparaissent la faucille et le marteau). En théâtralisant les signes et les symboles de l’économie, sa littéraire et sa théologie, Vitantonio Russo nous invite à rechercher un art qui serait une philosophie au-delà de la philosophie, un non système, peut-être ce Bordel philosophique qu’évoquait Pablo Picasso, mais en tout cas un mode de raisonner et de sentir différent et révélateur des grandes manœuvres qui nous dépassent et nous menacent.

mis en ligne le 11/07/2010
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