Cette « clientèle »,
dont le développement est intimement lié à l’apparition
d’une nouvelle oligarchie issue du commerce et de l’industrie,
reprend ainsi à son compte un des attributs visibles du pouvoir : l’Art
(on assiste aujourd’hui à un phénomène similaire
avec la montée en puissance sur le marché de l’art des
nouveaux millionnaires russes, chinois et asiatiques). Un art qui ne s’adresse
plus aux foules mais s’expose dans des circuits plus spécialisés
que sont les salons puis, bientôt, les galeries. Cette évolution
alimente , et s’alimente, d’un changement de statut des artistes,
de moins en moins lié à l’institution.
Dans la foulée, à la lumière de cette nouvelle donne,
on assiste, petit-à-petit à une relecture totale de l’histoire
de l’art et des oeuvres du passé. L’idée centrale
en est que l’oeuvre artistique est d’abord un objet, qui, par sa
nature même, se soustrairait à toutes les contingences liées à sa
genèse.
Cet angle d’attaque, qui atteindra un de ses sommets avec André Malraux,
n’est pas, malgré sa richesse et son intérêt, sans
poser de problèmes lorsqu'il s'agit de le transposer à l'espace
public.
Il va, d’une part, installer dans l’esprit d’un public néophyte
une contre-vérité historique quant à la destination des
oeuvres du passé et, par là même, faire le lit de ce que
j’appellerais « la culture de l’esthétisme et de l’objet
autonome ». A noter que cette approche est propre à l’occident
qui étend de plus en plus sa vision esthétisante sur le monde,
trop souvent au détriment du contenu.
Il va, d’autre part, brouiller définitivement les cartes entre
art public et ce qu’il est convenu d’appeler art muséal.
La récente bataille, entre le Musée de l’Homme et le Musée
des Arts Premiers du quai Branly, pour la possession des oeuvres dites primitives,
montre bien les deux extrêmes d’une lecture de l’art qui
gagnerait, au niveau muséal, à permettre les deux approches.
Un mythe est né: celui de l’oeuvre absolue, indépendante
de tout contexte avec, à la clé, le statut de démiurge
pour l’artiste.
Soulignons que si cette lecture de l’oeuvre comme instrument, pour
le spectateur, d’un parcours individuel, «go-between»,
comme disent les Anglais, entre soi et soi-même, est d’une richesse
indéniable, et permet aux « amateurs » de se construire,
on sait que ce type de parcours n’est effectué que par ceux à qui
la possibilité en est offerte et qui, de plus, en ont le désir.
Pour accroître la confusion des genres, l’espace public est souvent,
de nos jours, réduit à un livre ouvert de l’architecture,
auquel les artistes ont de tous temps participé. Dans un premier temps
assez naturellement puisque les artistes étaient architectes, et vice
versa (Michel-Ange est le paradigme de cette situation) , puis, lorsque les
deux professions se sont lentement distinguées, par un travail d’ornementation,
intérieur et extérieur, des bâtiments.