par Bruno Macé
Revenons à ce qui fut, la vaste « parenthèse muséale » mise à part,
la donnée centrale de l’art, des peintures rupestres aux colonnes
de Buren: son rapport, sa participation, à l’espace public.
L’espace public est celui de la rencontre, voire de la confrontation.
Le principal lieu où se tisse du lien entre espace individuel ( physique
et mental ) et espace collectif, le lieu de la mise «faceface » des
utopies individuelles et des utopies collectives, l'opposé même
de l'espace privé qui lui est souvent constitué de miroirs
ne réfléchissant que son propre égo.
Y favoriser l’implantation d’oeuvres contemporaines conçues
comme autonomes où l'artiste d'un Palais de Justice à un hôpital,
en passant par un Lycée, décline sa problématique personnelle
en lui donnant, plus ou moins, un vernis In Situ, relève donc du malentendu
. Le résultat, souligné en son temps par Robert Musil, est
la multiplication des monuments invisibles qui ne parlent qu’à ceux
qui les interrogent déjà, c’est-à-dire une petite
minorité de la population. Quant à croire qu’il suffit
de parsemer la ville d’oeuvres muséales pour créer une
appétence auprès d'un nouveau public, je vous renvoie aux études
régulières du Ministère de la Culture sur les consommations
culturelles des Français qui prouvent le contraire. De plus, cette
pratique ne peut conduire qu’à une saturation d’un espace
public déjà envahi "d’objets signalisant ",
de la sucette Decaux aux panneaux routiers, sans oublier les bornes d’informations
historiques !
Alors que faire dans l’espace public? Remettre les artistes au service
du pouvoir religieux ou politique pour célébrer les valeurs
dominantes? A l’évidence non! L’histoire ne ressert jamais
deux fois les mêmes plats sans leur donner un goût amer. La liberté acquise
grâce à l’apparition de ce «marché privé» doit,
au contraire, ouvrir de nouvelles perspectives qui correspondent au contexte
actuel. Ceci doit se faire en évitant les deux ornières que
sont, d’une part, le regard esthétisant de l’occident
sur tout ce qu’il touche, transformant le monde en un paquebot de luxe à la
dérive, revue façon Samaritaine de l’esthétisme,
et, d’autre part, le fonctionnalisme, l’utilitarisme, transformant
l’artiste en designer du quotidien.
Il faut donner aux artistes qui manifestent le désir d’intervenir
dans l’espace public le rôle qu’ils peuvent tenir : celui
de passeur, celui de tisseur de lien ; là, entre espace collectif
et espace individuel. On sait pertinemment que c’est de cela, qu’aujourd’hui,
la ville souffre; cette impossibilité pour beaucoup de trouver un
lien, un point d’adhérence, entre leur problématique
personnelle et l’espace de la ville.
Ce travail suppose une désacralisation de l’acte artistique;
il ne s’agit plus de faire «Oeuvre autonome» mais d’intervenir.