Dossier Groborne
En compagnie de Robert Groborne
par Gérard-Georges Lemaire
mis en ligne le 28/12/2011
D’aucuns pensent en marchant. L’école péripatéticienne nous en a fourni l’exemple éclatant avec les cours d’Aristote. La promenade d’Emmanuel Kant est demeurée légendaire et Thomas de Quincey l’a décrite à merveille dans le récit de ses derniers moments sur cette Terre. Robert Walser a fait sa promenade quotidienne pendant trente ans et n’a plus écrit une ligne. Il est mort, les bras en croix dans la neige, le visage tourné vers le sol, au cours de l’une d’elles, en silence. Sans plus de pensées. Moi, quand je marche, je ne pense pas. Je rêvasse. Tout se passe comme si je continuais à me rendre au lycée Buffon en portant un cartable lourd, bourré de livres, plein à craquer de ces manuels cartonnés aux illustrations vulgaires et d’instruments divers pour les cours de sciences naturelles ou de physique. Je rêvasse encore et toujours et les choses les plus extravagantes me viennent à l’esprit. Toujours.
Voici peu, je marchais sur le trottoir de la via Solferino à Milan pour rentrer chez moi. Des images liées à Robert Groborne me sont venues à l’esprit, comme ça, brusquement, sans raison, dans le désordre. Je me suis souvenu d’un soir lointain où nous nous sommes rencontrés dans l’autobus. Je m’efforçais de reconstituer notre conversation. Groborne était un homme plaisant – et l’est toujours – d’une grande discrétion, timide, en apparence, parlant d’une voix basse, mais qui avait une présence inoubliable. Il a encore cette présence insidieuse et cette affirmation qu’on en peut que deviner si on le connaît assez bien. Il sait capter l’attention, ne laisse jamais indifférent. Sa présence est furtive, mais ne passe pas inaperçue. Il émane de lui une gravité mais qui est corrigée par un sourire bienveillant et un recueillement profond, mais aussi une pointe imperceptible d’ironie qui ne s’adresse qu’à lui même, pas à ses interlocuteurs. Il est à l’écoute de ces derniers, n’impose rien en dehors de son être qui ne peut pas laisser indifférent. Une sorte de charme des plus curieux. Impalpable, indescriptible, mais prégnant. J’aurais pu écrire que c’était son être-là si Martin Heidegger n’avait pas donné une signification précise à cette formulation dans sa philosophie.