Dossier Groborne
En compagnie de Robert Groborne
par Gérard-Georges Lemaire
mis en ligne le 28/12/2011
Revenons-en à l’essentiel : quand je regarde un tableau de Groborne, je ne sais pas vraiment si je vois une forme qui apparaît ou si je la saisis avant qu’elle ne disparaisse. Ou, plus exactement, j’ignore si je regarde quelque chose en cours de construction ou de déconstruction. C’est bien une forme que j’ai sous les yeux, une forme qui pourrait bien passer pour une architecture aux contours peu clairs – j’allai dire : interlopes. Alors se pose la question qu’on ne peut pas éviter : doit-on parler d’une œuvre abstraite ou d’une œuvre figurative, dont les figures échappent à mon attention ou à ma sagacité ? Les qualifier de strictement abstraites serait régler le problème d’un tournemain. Ce ne serait pas entièrement faux, mais ce ne serait pas satisfaisant. Ma conscience et mon intelligence s’y refusent, même si mes sens me conduisent dans cette direction. D’une part, il est impossible de qualifier ses compositions de représentations au sens plein ou classique du terme. Mais, de l’autre, décréter tout de go qu’elles seraient figuratives serait encore plus abusif et, comme on dit en italien, una forzatura. Alors, où suis-je ? Sans doute dans une zone intermédiaire, une sorte de purgatoire esthétique qui se situerait à mi-chemin entre les deux pôles qui ont sous-tendus les recherches du siècle dernier. J’irai plus loin, dans un territoire où les figures sont abstraites et dont l’abstraction sert à figurer. Vous me direz alors que je perds la raison. Le sens commun refuse une telle proposition. Eh bien, je la maintiens quoi que vous pensiez. Je suis convaincu que Groborne joue avec ces deux notions contradictoires pour donner naissance à une peinture qui n’a pas eu vraiment lieu d’être jusqu’à présent.
Rien n’est tout à fait simple dans ses actes en dépit des apparences. Chez lui, tout donne l’impression d’être épuré, réduit à l’essentiel, décanté, abstrait, comme l’entendait cette fois Wilhelm Worringer dans son ouvrage intitulé Abstraktion und Einfühlung : ein Beitrag zur Stilpsychologie, qui a paru en 1908 et qui a eu une influence considérable sur les artistes les plus audacieux de son temps, en particulier Vassili Kandinsky. Pour l’érudit allemand, l’abstraction était d’abord une simplification de la figure, comme cela s’est produit d’ailleurs dans des systèmes d’écriture utilisant les pictogrammes. L’art égyptien, si je me souviens bien de sa doctrine, était abstrait pour l’essentiel. L’art de Robert Groborne l’est un peu plus, voilà tout.