Au bout du compte, je ne vois rien. Ou pas grand chose de bien précis. Mais je vois quelque chose. Je vois bien des contours et donc une frontière entre une surface et un objet, mais cet objet est dépourvu de forme reconnaissable et de nom. Cet objet est une vue de l’esprit. Oui, c’est ça, une
veduta mentale. Les dessins qui correspondent à ces deux créations apportent quelques maigres éléments pour leur approche : il y a deux grands orbites comme les yeux d’un homme ou d’un animal et puis la surface cerné par le crayon est traité de sorte à y imprimer sinon un relief, du moins une texture. A partir de là, on peut se perdre en conjectures.
Quoi qu’il en soit, ce n’est peut-être pas le bon moyen de prendre cette question. Il ya une forme et il y a un fond, comme on me l’enseignait à l’école. Mais cette forme et ce fond ne font plus qu’un dans l’imagination de l’artiste. Ils constituent de conserve le support d’une réflexion qui ne passe plus par les mots, mais par le ressenti et par l’image qui s’imprime sur la rétine. Il faut envisager l’hypothèse que ces œuvres soient des poésies peintes, mais pas tel que Léonard de Vinci l’avait postulé (« la poésie muette » que serait la peinture). La poésie est une condensation de l’expérience intérieure de l’artiste qu’il délivre au terme d’un cheminement lent et délicat. Il ignore lui-même si c’est un commencement ou une fin. C’est en tout cas le point où il a tenu à ne pas aller outre, où il a dû s’arrêter. Et ce point est
l’ut poesis. Il n’exprime pas l’inexprimable, mais postule l’indicible comme alpha et oméga d’une telle expérience. Le visible qu’il nous délivre n’est pas dicible, mais il peut partager avec nous quelques uns des moments qui l’ont amené à le produire et à nous le montrer. Ce qui est lisible, c’est l’entendement de la peinture et ses conséquences. C’est cette beauté qui émerge au sein d’une configuration- une beauté qui n'a rien de séduisant à priori et pourtant s'impose à nous- dont il nous a réservé la surprise. Le beau a-t-il partie liée avec l’imprononçable ? C’est probable, pour lui en tout cas. Le beau est le fruit d’une architecture improbable avec tous ces noirs qui nous fascinent, mais engendrent une vague inquiétude. L’affirmation de cette beauté est le triomphe de sa peinture qui est infirme par vocation. C’est la mise à nu d’une poésie qui n’existe pas et qu’il a su, en dépit de tout, formuler et imposer. Ce n’est pas la chambre obscure du tourment amoureux de Thérèse d’Avila ni la nuit mystique de Jean de la Croix – j’en donnerais ma main à couper – mais, en faisant ces analogies, je ne fais pas tellement fausse route : car la pensée esthétique de Robert Groborne est un espace où il se raconte, comme homme et comme artiste, sans mot dire, mais avec une force et une dimension métaphysique. En aveugle.
Milan, octobre 2011
Emmanuelle Etchecopar Etchart