Dossier Groborne
En compagnie de Robert Groborne

par Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 28/12/2011
Admettons. Mais d’autres questions se présentent. Avance-t-il par élimination ou par addition, ou encore en employant un autre procédé ? Je me souviens de Jean Degottex qui s’échinait à extraire les strates de feuilles de papier à dessin pour en extraire les qualités « intérieures » de la matière. Quelque chose de comparable, dans un esprit différent, pourrait être activé dans ses toiles. Mais, à l’inverse de ce que faisait Jean, il n’a pas l’air de tenir au fait que l’individu qui contemple ses travaux sachent ses secrets de fabrications. Il n’est pas dans le work in progress, en tout cas dans cette perspective. On serait plutôt enclin à croire qu’il tient à ce que le « contemplateur » (comme on contemple justement un problème !) reste dans le doute. Une stratification existe et elle tient une place déterminante dans sa géographie plastique qui convoque, outre la vue, le sens du toucher. Tout est en relief. Plus ou moins. Et ce plus et ce moins fait que le noir est plus ou moins noir, que la surface est inégale et énigmatique. Groborne n’a pas poursuivit la quête passionnée des monochromistes quand bien même il n’use que d’une seule couleur. Qu’on n’aille pas maintenant convoquer Malevitch ou Rodchenko. Et encore moins Lucio Fontana ou Piero Manzoni. Non. Il s’agit d’une affaire d’un autre calibre. En premier lieu, hasarderais-je, parce qu’il n’est pas un formaliste. Cela ne signifie pas qu’il ne possède pas un souci rigoureux des formes qu’il manipule. Mais il ne part pas de présupposés sur la surface, la ligne, les rapports de tons, l’expression souveraine de la peinture – un art pour l’art dans des termes modernes. Et comme il est loin de toute effusion lyrique, il préfère s’exprimer avec une pauvreté de moyen et un relatif ascétisme dans l’acte de peindre.

Je consulte de nouveau la reproduction du tableau n° 16111 et son frère, sans doute engendré dans la foulée, le n°16711. Que puis-je y discerner ? Des trouées, des déchirements, des béances, un fond intense et des fragments d’un noir moins intense. Qu’inspirent-ils ? La sensation d’une perte. Groborne serait-il le dernier en date des amateurs de ruines qui, de Monsu’ Desiderio à Claude Gellée dit Le Lorrain, en passant par Piranèse ou Fussli et par tous les peintres qui ont voyagé en Italie après Goethe, n’ont eu de laisse de transmettre la sombre et suave saveur de la nostalgie dans notre culture. S’il y a du mélancolique chez Groborne, ce sentiment ne trouve pas son origine dans une dissertation sur la mort de l’art dérivée d’une mort de la culture antique, dont Winckelmann a été le grand prêtre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Je distingue aussi des découpages indécis et des superpositions qui donne au tableau l’aspect d’une carte relief. J’ai l’impression d’avoir à faire avec une démonstration renversée du principe énoncé par Platon quand il parle de la caverne. Ce rendu résiduel indexe non un deuil esthétique, mais la volonté de mettre à jour ce qui reste d’important une fois que le superflu a été ôté. Serait-ce que Groborne est parti conquérir l’essence des choses et des êtres ? Pas exactement. Il a une ambition d’un genre assez distant.

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