Garouste le Père-turbé
par Jean-Paul Gavard-Perret
Gérard Garouste (avec Judith Perignon),
L’intranquille , L’Iconoclaste, Paris,
168 pages, 30 Euros
Sa première crise grave remonte à l’époque de la naissance de son fils aîné. La dernière à celle de son cadet... «La période où les enfants naissent, je suis très heureux ; mais deux jours après, je plonge dans la dépression. D’après mon analyste, ce n’est pas la naissance qui me perturbe, mais la conception » dit l’artiste. Néanmoins il reste circonspect quant aux explications analytiques. D’autant qu’elles divergent. Pour certains psychiatres consultés par le créateur, sa « folie » délirante tient au fait que son propre père était un psychopathe, d’autres estiment à l’inverse que sa propre maladie n’a rien à voir avec une telle cause : selon eux Garouste se nourrirait de cette « faiblesse » afin de créer. Bref la question demeure ouverte...
L’éducation reste cependant capitale dans la psychologie de l’artiste. Il la résume ainsi : « Picasso disait toujours que les peintres ne sortent pas du néant, qu’ils ont toujours un père et une mère. Moi, je viens du néant. » Peu ou prou Garouste en est tout de même sorti. Sa réflexion sur la condition humaine y est pour beaucoup. Et il est allé jusqu’à apprendre l’hébreu afin d’être au plus près de la connaissance de la Torah. Il a, dit-il en substance, trouvé beaucoup de réponses dans le Talmud car il s’agit d’un livre de questions. Pour autant l’étude des grands textes ne suffisent pas à le sauver. A chaque virage, à chaque rechute Il a eu envie de tout abandonner. Même la peinture qu’il a d’ailleurs arrêtée : « Je suis resté dix ans sans peindre. Je me disais que j’étais nul, que je ne serais jamais un artiste. Il faut beaucoup de force pour créer ». Hermétique à l’idée romantique de l’artiste génial parce que Maudit il pense - contrairement à l’idée reçue – que l’angoisse et la terreur peuvent annihiler la création.
L’arrivée de sa future femme dans sa vie représente sans doute sa véritable survie. : « Nous avions 17 ans quand nous nous sommes connus. Elle est la colonne vertébrale de ma vie. Si je tiens debout, c’est grâce à elle » précise l’artiste. Douce, attentionnée il lui doit la possibilité de se désenclaver de lui-même et de sa forteresse de vide : « Elisabeth m’en a ouvert les portes » ajoute-t-il. Constamment fragile et en sursis l’artiste a pu grâce à elle pactiser avec ses peurs et ses angoisses. « J’apprends à être zen » écrit-il. C’est peut-être exagéré... Toujours est-il que le peintre dans sa soixantaine a enfin pris contact avec la vie en trouvant une certaine distance par rapport à lui-même. Certes ses émotions restent souvent violentes, presque incontrôlées. Mais Garouste a appris à pactiser tant que faire se peut avec elles. « Je dois être très prudent, et c’est seulement comme ça que je pourrai m’en sortir » dit-il. La mort de son père l’a sans doute soulagé. Pour autant rien – forcément – n’est fixé. Et le travail reste le plus sûr rempart à ses terreurs. Récemment une réflexion en acte sur le « Faust » de Goethe pour son exposition à la galerie Daniel Templon et la création de neuf portes en bronze et une sculpture de six mètres de haut pour un bloc d’immeubles à Saint-Germain-des-Prés lui permettent de « s’accrocher » et d’aller progressivement vers un peinture plus joyeuse : « je voudrais m’autoriser plus de légèreté. Je sens que ça vient ». On le lui souhaite.